Faut-il rappeler que l'insomnie chronique touche près de 1 % de la population française ? Considérée comme sévère dans 6 à 9 % des cas, même s'il ne s'agit pas d'une pathologie grave, elle affecte la vie quotidienne et professionnelle, en majorant la fréquence des arrêts de travail, des consultations médicales et même des hospitalisations.
La somnolence diurne excessive, bien que moins fréquente (moins de 6 % de la population), a des conséquences encore plus lourdes avec, à l'extrême, un risque accru d'accident de travail ou de la circulation, sans parler d'un absentéisme multiplié par deux, selon certaines études. Sur le plan économique, l'insomnie chronique a des effets de l'ordre de 10 milliards de francs par an, pour ne parler que du coût direct.
Une prise en charge aléatoire
Face à ce problème, l'organisation de la médecine du sommeil est balbutiante. Il s'agit d'une discipline transversale non reconnue par les structures de tutelle et peu gratifiante, selon la nomenclature. De toute façon, la formation des médecins passe essentiellement par le biais de DU et d'un DIU organisé par la Société française de recherche sur le sommeil : c'est le seul qui puisse être mentionné par les médecins.
Au niveau hospitalo-universitaire, l'implantation des centres du sommeil est presque aussi aléatoire ; elle dépend de la motivation d'hospitaliers dotés d'une formation initiale variable, qu'il s'agisse de pneumologues ou encore de neuropsychiatres.
Dans ces conditions, on ne peut pas s'étonner de ce qu'une enquête réalisée à l'hôpital Antoine-Béclère, « LURIAU 1998 », révèle une durée moyenne d'errance avant le diagnostic précis de troubles du sommeil chroniques de plus de trois ans pour 52 % des patients et même de plus de dix ans dans un quart des cas.
Les délais de consultation, en région parisienne, vont de deux à six mois pour une consultation spécialisée et de deux à huit mois pour une exploration en laboratoire du sommeil. Un phénomène qui s'aggrave alors que plus de la moitié des patients sollicite directement une consultation du sommeil sans avoir été adressé par un généraliste.
Ce constat conduit le Pr Patrick Lévy à insister sur l'urgence d'une reconnaissance de la médecine du sommeil qui, idéalement, devrait fonctionner sur le modèle de réseaux de soins sans hospitalocentrisme. L'objectif est de coordonner les soins avec les médecins généralistes et les spécialistes de ville concernés. Les contacts avec les pouvoirs publics sont plutôt bons, souligne le Pr Patrick Lévy, mais les actes sont longs à venir.
L'obstacle de la nomenclature
Comme le souligne le Dr Sylvie Royant-Parola, le développement de ces réseaux passe par des mini-révolutions. Tout d'abord, on l'a vu, au niveau de la formation initiale et continue, mais ensuite par une plus juste rémunération des explorations et enregistrements du sommeil. A titre d'exemple, on rappellera que l'enregistrement polygraphique avec analyse du sommeil est coté K 71, c'est-à-dire 894,60 F, alors que le prix de cet examen est deux à quatre fois supérieur dans plusieurs CHU où une enquête a été effectuée. Si l'apparition d'une nomenclature a eu le mérite de supprimer les inégalités de pratique et d'éviter des contentieux avec les organismes de Sécurité sociale, on ne peut pas dire qu'elle assure le développement de ces explorations en milieu libéral, bien au contraire.
Ce n'est donc pas un hasard si les médecins du sommeil avaient invité des représentants des centrales syndicales, en l'occurrence Jean-Luc Jurin (CSMF) et Jean-Louis Caron (SML), afin de les sensibiliser au problème de la nomenclature.
Pour sa part, Gilles Poutoux, en présentant l'URCAM d'Ile-de-France, a précisé que le fonds d'aide à la qualité des soins de ville (FAQSV) pourrait être un levier important pour développer des expériences de réseaux en transcendant les problèmes de nomenclature et en permettant au secteur libéral de mieux financer le versant ville d'un réseau ville-hôpital.
Mais, a-t-il reconnu, il ne pourrait s'agir que d'expériences et par ailleurs la constitution des dossiers et le déblocage des fonds ont posé beaucoup de problèmes lors de la mise en route du fonds. A contrario, insiste Gilles Poutoux, cela montre qu'il ne faut pas opposer administration, hôpital et ville, mais plus pragmatiquement réunir et favoriser les efforts de ceux qui, dans ces trois mondes trop séparés, veulent faire bouger les choses.
La nécessité d'un « lobbying »
Comment atteindre tous ces objectifs ? Sûrement en multipliant les contacts avec les organismes de tutelle, les représentations syndicales, l'Ordre et l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES). Mais ce lobbying au sens propre du terme ne sera pleinement efficace que s'il va de pair avec une communication : cela veut dire donner le plus possible la parole aux patients, tant il est vrai qu'aujourd'hui les pouvoirs publics sont beaucoup plus sensibles à leurs revendications qu'à celles du corps médical. Au-delà de la prise de parole par les patients, les médias grand public doivent être sollicités chaque fois que l'on peut montrer l'importance de la médecine du sommeil pour la qualité de vie de nos concitoyens, mais aussi pour la santé publique, notamment en ce qui concerne la sécurité du travail et de la circulation. De nombreux exemples récents, du cancer à la douleur, montrent qu'aujourd'hui une discipline transversale ne peut se développer qu'à travers une telle démarche. Les médecins du sommeil sont résolus à se faire entendre.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature