ON SAIT LES TROIS grand pôles qui ont guidé l'existence de Jean-Christophe Rufin : la médecine, l'humanitaire, la littérature ; auxquels il faut ajouter la politique. Mais quoi qu'il ait accompli, quoi qu'il ait écrit, il se sent avant tout médecin.
Une vocation qui est apparue dans sa petite enfance, provinciale et ennuyeuse, auprès de son grand-père médecin, qui n'exerçait plus mais restait auréolé du titre, et qu'il a aimé passionnément bien que ce fut à sens unique. Une vocation ranimée par l'annonce de la première greffe du coeur effectuée au Cap par Christiaan Barnard et qui, loin de la médecine humaine de son grand-père, ouvrait vers une médecine pionnière.
Ce qui suit sur le «processus lent et imperceptible qui fait devenir médecin», vaut son pesant de réflexions et de critiques, même si ce n'est pas son objectif : il se souvient ainsi de certains patrons «incurablement mauvais», du concours de l'internat qu'il a passé à 23 ans (« je n'en connais aucun qui fasse aussi peu place à l'intelligence»), du moment où il a choisi la neurologie (il admet ses «dégoûts, répulsions, blocages» pour certaines maladies, digestives, dermatologiques ou la pédiatrie).
Il se souvient de ses gardes de nuit à la Salpêtrière qui lui ont appris que le médecin ne doit jamais préjuger de sa puissance et il déplore «la redoutable secte des urgentistes» et «le SAMU, cet auxiliaire terrifiant de Big Brother»...
«Menacé de noyade dans la médecine», il montre qu'une nouvelle fois le salut – la liberté – est venu par étapes. Ce fut une amitié aussi forte que brève car interrompue par la mort, qui par ricochet l'a conduit en Afrique, le continent qui allait jouer un si grand rôle dans sa vie. Puis le service militaire qui l'a amené à Sousse, en Tunisie. Enfin, la découverte de Médecins Sans Frontières via une interview télévisée de Bernard Kouchner.
Une première occasion de partir manquée, par manque de courage, la reprise de contact un an plus tard et la découverte, à l'occasion de l'affrêtement du bateau « Île de Lumière » pour recueillir les boat people qui fuyaient le Vietnam, des dissensions dans l'association : au moment où Bernard Kouchner quitte MSF, Jean-Christophe Rufin y adhère.
Il découvre bientôt la véritable nature de l'humanitaire : «J'étais venu avec mon idéal, un peu flottant, un peu naïf. Voilà qu'à l'épreuve de l'action je découvrais tout autre chose: une guerre de clans, un domaine hautement politique, les jeux d'intérêts et de pouvoir.» Et explique pourquoi il est resté pendant des années, ni pour défendre ses intérêts ni pour acquérir du pouvoir mais «parce que l'engagement humanitaire que je découvrais révélait qu'il n'était pas hors du monde, comme l'hôpital».
S'ensuivent ce qu'il estime être les années les plus fécondes de sa vie sous la houlette de « Lénine », Claude Malhuret – jusqu'à ce qu'à son tour il soit exclu. Et qu'il intègre Action Contre la Faim, à l'époque AICF. (Note personnelle : c'est au cours d'une mission en Éthiopie, alors en proie à une terrible famine, qu'il a rencontré la femme qui partage toujours sa vie).
Entre ce moment et l'ambassade du Sénégal aujourd'hui, les aventures se sont succédé, parmi lesquelles le retour à MSF et bien sûr l'écriture. Toutes ses expériences, ses souffrances, ses réussites et ses déboires ont amené Jean-Christophe Rufin à ce qu'il était vraiment destiné, le roman, et, entre bien d'autres prix, le Goncourt en 2001 pour « Rouge Brésil ». S'est-il pour autant éloigné de sa vocation ? Au contraire : «Jamais je n'ai été si peu médecin qu'aujourd'hui. Et pourtant, jamais je n'ai été plus proche de la vocation qui m'a fait choisir ce métier», affirme-t-il en conclusion de ces « Chroniques d'un médecin nomade » qui constituent, aussi, un beau roman .
Editions Gallimard, 284 p., 17,90 euros.
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