«TOUT N'EST pas purement “génétique”ou “cellulaire” dans le développement du cancer du côlon, mais certaines étapes pourraient résulter d'une action mécanique», estiment Joanne Whitehead et Emmanuel Farge qui dirige à l'Institut Curie, l'équipe mécanique et génétique du développement embryonnaire et tumoral. Ces chercheurs s'intéressent à l'influence de contraintes mécaniques sur l'expression des gènes lors du développement tumoral et embryonnaire.
Dans un travail récemment publié, ils ont démontré l'existence de mouvements morphogénétiques, qui surviennent lors du développement précoce de l'embryon de drosophile, et déclenchent l'expression du gène Twist, qui contrôle la différenciation des tissus gastriques (publié dans « Developmental Cell », septembre 2008).
Inactivation d'APC : nécessaire mais pas suffisante.
Dans le cas du cancer du côlon, l'inactivation du gène APC (Adenomatous Polyposis Coli) est l'événement génétique nécessaire à l'intiation du processus de cancérogenèse. «Toutefois, si la perte d'APC est nécessaire pour qu'une tumeur du côlon apparaisse, elle n'est pas suffisante.» C'est ce qu'ils montrent dans une autre publication (« Human Science Frontier Journal », 1er octobre 2008).
Les chercheurs sont partis du fait que la perte du gène APC a, parmi ses conséquences, la dérégulation de la bêtacaténine, lors du développement d'un cancer du côlon. La bêtacaténine est une protéine d'adhésion qui joue aussi un rôle de facteur de transcription. «La bêtacaténine fait peut être office de censeur mécanique capable de capter les contraintes.» Ils ont étudié les modifications induites par une pression mécanique sur l'expression de la protéine bêta-caténine et de deux oncogènes du développement précoce du cancer du côlon qui sont régulés par cette protéine, les oncogènes Myc (qui participe à la croissance tumorale) et Twist (qui contribue au pouvoir invasif des tumeurs).
Ils ont travaillé sur des côlons entiers explantés en postopératoire provenant, d'une part, de souris chez qui le gène APC a été délété (perte d'une copie du gène) et, d'autre part, de souris normales. Ils exercent sur le côlon une pression très mesurée, correspondant aux pressions normales subies par le côlon lors du transit intestinal des souris.
Chez les souris n'ayant qu'un gène APC, ils observent «une relocalisation de la bêta-caténine du cytoplasme vers le noyau des cellules, suivie de l'activation de l'expression des oncogènes Myc et Twist, qui jouent alors leur rôle dans la cancérogénèse». Il semblerait que la contrainte mécanique fait perdre à la bêtacaténine ses propriétés d'adhésion. La bêtacaténine est relarguée dans le cytoplasme. Dans les cellules sauvages, la protéine APC dégrade la bêta-caténine dans le cytoplasme avant qu'elle n'entre dans le noyau et transcrive les oncogènes. Mais dans les organismes où un seul gène APC est présent, il semble insuffisant pour empêcher cet effet délétère. Ensuite il n'est pas exclu que la croissance de la masse tumorale accélère son développement en comprimant les tissus voisins. Par comparaison, on observe que la déformation du côlon des souris sauvages ne produit pas d'effet sur les oncogènes Twist et Myc.
Ces observations ont un intérêt en clinique humaine, car les individus porteurs d'un risque génétique de cancer colique et qui ont hérité de leurs parents d'une mutation portant sur un APC sont porteurs d'une seule copie normale du gène. On pourrait étudier l'effet d'une réduction des contraintes digestives (régime, hydratation, perte de poids…) pour savoir s'il y a un impact sur le développement du cancer.
Si ces observations se confirment, elles ouvrent un champ d'investigation sur des « voies mécanosensibles » qui potentiellement sont susceptibles d'intervenir dans de nombreux domaines, estiment E. Farge et coll.
« Human Science Frontier Journal », 1er octobre 2008.
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