Livres
Si ces deux écrivains et non des moindres ont entrepris de disperser aux quatre vents de l'indifférence des bien-portants ces moments de déchéance et de souffrance, ce n'est ni pour prêter à compassion ni pour montrer leur courage mais pour continuer d'exister. Les mots, l'écriture et la re-création de leurs parcours sont une victoire sur la vie.
« Miss P. », vous connaissez ? C'est une compagne de longue date de François Nourissier, qu'il nous avait déjà présentée en lui consacrant sept chapitres de son précédent livre ; une compagne envahissante car, après s'être emparée petit à petit de son corps et avoir tenté de phagocyter son esprit, elle est aujourd'hui le seul sujet du récit.
« Miss P. », c'est la maladie de Parkinson dont l'académicien, faute de pouvoir l'ignorer et la dédaigner puisqu'elle régit son existence, a entrepris de raconter dans le « Prince des Berlingots » (1) - un titre général aussi surprenant que ceux de la cinquantaine de courts chapitres du livre.
Il décrit plus précisément la cohabitation forcée entre elle et lui, le face-à-face sans répit et les mille et une ruses de l'un pour tromper ou apaiser l'autre. « Je ne me voyais plus vivre : la maladie m'a rendu au spectacle de ma vie », avoue-t-il.
Le tableau est loin d'être agréable, et même supportable. Certes, il y a encore des moments de répit, durant lesquels il fait illusion et peut passer pour un septuagénaire robuste, pendant lesquels « je redeviens en moins de deux le puant singe savant que je me désolais de n'être plus ».
Mais François Nourissier - qui même dans ces cas-là ne résiste pas à la tentation de se dénigrer - ne se prive pas de détailler les mille et un empêchements, dégradations, trébuchements, limites, dont son corps est victime. Il en rajoute, serait-on tenté de dire, dans le grotesque et le dérisoire, la déchéance et l'impuissance, mais on s'aperçoit vite qu'au-delà de cette danse macabre qui après tout ne nous concerne pas, se dessine un personnage nommé Nourissier et prend forme une histoire qui nous interpelle : si l'homme ne peut sortir vainqueur du combat, l'écrivain fait encore une fois la nique à la maladie.
Le regard que Françoise Xenakis porte, dans « Regarde, nos chemins se sont fermés » (2), sur la maladie de son mari, est évidemment plus extérieur et le temps, depuis la mort de Iannis en février 2001, a fait son uvre. Alzheimer pour les uns, démence sénile frontale pour d'autres, peu importe, cela reste pour elle « la maladie de l'indifférence ».
Elle a vécu plus de cinquante ans près de son mari, mais c'est d'une cohabitation à trois de presque quinze ans qu'elle parle : de l'inéluctable avancée de la maladie avec ses effets de plus en plus visibles sur la victime -et accessoirement son entourage.
Elle se souvient notamment comme elle a été longue à renoncer à le corriger, à ne plus s'offusquer de ses erreurs et de lui répondre ce qu'il voulait entendre pour l'apaiser, jusqu'à « se retrouver muets, presque muets, à se toucher les mains, se sourire... ». « Je me demande, poursuit-elle, si je n'ai pas plus souffert d'avoir, moi, à accepter ses déficiences que de le voir souffrir de ces problèmes-là ».
Surtout, tout au long des pages, Françoise Xenakis rend hommage aux médecins des hôpitaux du service public. Elle parle avec « respect et admiration » de ceux qui l'ont accompagnée durant ces quatorze années de maladies multiples et chroniques et de ceux qu'elle a vu se dévouer dans les salles des urgences, véritables « cours des Miracles », insistant sur les conditions de travail, à Paris du moins, « honteuses pour eux, pour nous », - pleine de compassion aussi pour les clochards et les paumés de tout genre qui les hantent. Mentionnant, ici, une exception - un chirurgien qui monnaye chèrement ses opérations et « rançonne » ses clients à chaque visite de contrôle -, là, une erreur médicale qui a aggravé l'état de son mari.
Françoise Xenakis souligne que ce récit est un livre chaotique, émaillé de répétitions, écrit sans ordre chronologique - parce qu'il parle, justement, d'une maladie faite de répétitions et de désordre dans le temps. Et si entre deux pages sombres elle a inclus des moments de soleils écrits il y a longtemps et qu'elle ne pourrait plus écrire aujourd'hui, c'est
« pour témoigner de ce qui a été, de ce qui demeure l'essentiel ».(1) Editions Gallimard, 220 p., 16,50 euros
(2) Editions Albin Michel, 185 p., 15 euros
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