EN LONGEANT la rue Cabanis, à Paris, et le mur d'enceinte de l'hôpital psychiatrique Sainte-Anne, établissement de santé autonome (il ne dépend pas de l'AP-HP), le passant est interpellé par deux immenses panneaux de chêne massif sur lesquels est profondément gravé un long texte de désespoir qui attaque l'Eglise, dans un délire de mots.
En 1972, Jeannot a 33 ans. Il vit dans l'isolement total, l'incurie et la claustration avec sa soeur Paule, elle-même malade. Tous deux sont coupés du monde extérieur depuis la pendaison du père et le décès de la mère, qu'il a enterrée sous l'escalier de la ferme familiale. Fusil au poing, très agressif, le jeune homme défie les gendarmes, l'administration, la municipalité, la justice, les médecins de la région. Durant cinq mois, et jusqu'à sa mort par inanition, il va transcrire sa souffrance, son désespoir, son délire, sur le plancher de sa chambre, attenante à l'escalier.
En 1993, lors de la mise en vente de la maison, après la mort de Paule, dernier membre de la famille, le Dr Guy Roux, médecin psychiatre, alerté par sa fille qui vit dans la région, découvre ce testament posthume et reconnaît le travail d'un schizophrène. Il entreprend alors de convaincre la communauté scientifique spécialisée dans les maladies mentales de sauver de la destruction ce travail de création, d'art brut, et l'acquisition est faite par le laboratoire Bristol-Myers Squibb, associé à Otsuka Pharmaceutical France, deux entreprises depuis longtemps engagées dans la recherche approfondie de traitements innovants de maladies psychiatriques.
Désormais, grâce à la donation faite par BMS, cette pièce monumentale est exposée à l'hôpital Sainte-Anne dans le cadre du programme 2005-2020 de rénovation du centre hospitalier.
Quand l'asile devient centre hospitalier.
Un quart de la population générale souffre de troubles psychiatriques et 1 % de schizophrénie. Deux symptômes cardinaux sont révélateurs de cette dernière maladie : la rupture avec la société accompagnée d'un repli sur soi et la perte de la cohérence, le développement d'un délire profond accompagné d'automatisme mental.
Le plancher de Jeannot illustre le profond mal-être du malade renfermé sur lui-même. De même, nombreuses sont les oeuvres réalisées par des malades souffrant d'affections psychiatriques, qui traduisent leur désespoir dans la peinture ou un autre art brut, dénomination donnée par le peintre Jean Dubuffet, qui a organisé en 1949 la première exposition d'oeuvres trouvées dans les hôpitaux psychiatriques de France, d'Allemagne et de Suisse et collectionnées dans le but de parfaire sa propre créativité.
Les enjeux actuels de la recherche médicale sont d'identifier les facteurs de vulnérabilité capables de faciliter l'entrée dans la maladie, facteurs génétiques, neurobiologiques ou endogènes, mais aussi abus du cannabis entre 16 et 30 ans ou stress négatif.
Les travaux des chercheurs, les avancées thérapeutiques, le savoir-faire amélioré des équipes médicales et soignantes permettent aux patients atteints de troubles mentaux de mieux vivre leur quotidien. L'asile d'aliénés n'est plus : les murs d'enceinte de l'hôpital protégeant le dehors du dedans et le dedans du dehors n'ont plus de raison d'être. Lieu d'asile et de refuge, l'hôpital Sainte-Anne s'ouvre dorénavant sur le monde extérieur, sur la ville. Il se donne jusqu'en 2020 pour abattre les murs, témoins d'un passé lourd et révolu, réaménager son Carré historique, redessiner le parc et les jardins, construire des bâtiments neufs équipés de matériel performant et créer l'Institut de psychiatrie et des neurosciences ainsi qu'un grand centre de congrès.
«Le plancher de Jeannot, ce témoignage de souffrance, nous l'exposons à la verticale à l'entrée de Saint-Anne, dans la perspective symbolique de la “chute des murs” de l'hôpital, prévue pour 2010, résume le Pr Jean-Pierre Olié, chef du service hospitalo-universitaire . Pour que le public sache que la maladie mentale n'est plus honteuse, mais lisibleet visible de la rue.»
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