Séisme chez les professionnels de la naissance

La Macsf décide de ne plus couvrir le risque obstétrique

Publié le 26/01/2006
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RIEN NE VA PLUS dans le secteur de l’obstétrique libérale. La semaine dernière, les dirigeants de 211 maternités privées ont manifesté devant le ministère de la Santé pour réclamer une revalorisation tarifaire, afin de «sauver» leurs structures – chaque accouchement leur ferait perdre environ 500 euros. Le ministère les a reçus mais n’a fait aucune promesse.

Mercredi, nouveau coup dur : la Macsf prévient qu’elle va arrêter de couvrir les obstétriciens libéraux. Cette annonce intervient au lendemain d’une décision de justice lourde de conséquences. La Cour de cassation a effectivement décidé de se ranger derrière l’avis de la Cour européenne des droits de l’homme et a rétabli le droit à l’indemnisation pour les enfants nés handicapés – un droit dont ils avaient été privés par la loi Kouchner du 4 mars 2002, dite loi anti-Perruche (voir « le Quotidien » d’hier).

Cette nouvelle jurisprudence va coûter cher aux assureurs. Le groupe Macsf-Sou médical a donc tranché : à compter d’aujourd’hui, il suspend toute nouvelle souscription de gynécologue-obstétricien libéral. Et au 1er janvier 2007, il n’en assurera plus aucun. Cinq cents contrats seront résiliés en fin d’année – la France compte 1 500 obstétriciens libéraux.

Le directeur général du groupe a tenu à expliquer sa décision. Le ton est grave. «L’ensemble de l’obstétrique vient de basculer dans une situation d’inassurabilité avec ces nouvelles décisions, déclare d’emblée Michel Dupuydauby. La sécurité de notre société est menacée. Cette décision, c’est une nécessité pour nos 280000assurés.»

Le directeur général du Sou médical complète le propos par une analyse juridique : «Nous avons au sein du groupe 240procédures en cours pour des naissances antérieures au 4mars 2002, détaille Nicolas Gombault. Pour que s’applique cette nouvelle jurisprudence, trois critères doivent être remplis. L’affaire devait être en cours au moment de la promulgation de la loi Kouchner; le non-dépistage a dû être jugé fautif; et la malformation f?tale, même si elle avait été détectée, ne devait pas permettre aux parents de recourir à une interruption de grossesse.» Au final, le Sou estime qu’une quinzaine de dossiers sont concernés par la nouvelle jurisprudence.

Y a-t-il vraiment péril en la demeure ? Difficile pour l’assureur de chiffrer par avance les retombées économiques. Le dossier Perruche, lui, devait initialement coûter 3,5 millions d’euros – au final ce sera moins que cela, car la Sécurité sociale a abandonné son recours ; le montant exact de l’indemnisation est en cours de négociation avec la famille. Pour la quinzaine d’affaires que le Sou s’apprête à voir surgir, «on peut s’attendre à de tels montants», estime Nicolas Gombault.

Ce n’est pas tout. «Théoriquement, seuls sont concernés les dossiers ouverts avant le 4mars 2002, poursuit le directeur du Sou. Mais on voit mal un juge refuser d’indemniser un enfant parce qu’il serait né quelques jours après la loi Kouchner.» La compagnie d’assurances s’attend à «une contagion à de nouvelles affaires», bref, à l’explosion des demandes de réparation de la part des familles. La conséquence ? Les primes en responsabilité civile médicale vont s’envoler. La Macsf va demander 2 080 euros au millier de médecins libéraux pratiquant l’échographie f?tale qu’elle assure. Pour les obstétriciens, qui «cumulent tous les risques», notamment chirurgical, la prime deviendra carrément «inacceptable», de l’aveu même de la Macsf. «Il nous paraît impossible de leur demander 40000euros», dit Michel Dupuydauby. Impossible aussi de renforcer la mutualisation du risque : «Tous nos assurés voient déjà leur prime majorée de 20% pour faire face au risque obstétrique, on ne peut pas leur demander plus», poursuit le directeur général du groupe Macsf-Sou médical.

Alors, la solution ? «Ce n’est pas à nous de la trouver. Cela fait des années qu’on pointe le problème, mais on n’est jamais écouté.» Michel Dupuydauby renvoie la responsabilité aux pouvoirs publics pour sortir de la crise.

« Il faut une volonté politique ».

Dans les rangs des obstétriciens libéraux, on est abasourdi par la nouvelle. «Ça y est, nous sommes devenus inassurables, ne peut que constater le Dr Guy-Marie Cousin, le président du Syngof (Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France). Si on veut garder l’obstétrique libérale, il faut nous rendre une sécurité juridique. Il n’y a qu’une solution: la gestion des risques et l’instauration d’une solidarité nationale pour les gros sinistres, sinon on n’aura plus d’accoucheurs dans le privé. Mais il nous manque la volonté politique.»

Cette idée de faire jouer la solidarité nationale n’est pas nouvelle en soi ; un groupe de députés, emmené par le Pr Jacques Domergue, avait concocté en 2004 une proposition de loi suggérant de transférer la charge des sinistres sur l’Oniam*, donc la Sécurité sociale, au-delà d’un certain plafond d’indemnisation. Mais l’idée est tombée aux oubliettes, car le ministère de la Santé a estimé le dispositif trop coûteux pour l’Etat. D’après le Sou médical, l’écrêtement des sinistres à 500 000 euros permettrait de ramener les primes des obstétriciens à 10 000 euros ; une solution qui, à la louche, coûterait environ 30 millions d’euros par an à l’assurance-maladie.

Pour le député Jacques Domergue, l’heure est venue de relancer le débat : «On va devoir réactiver la proposition de loi. Jusqu’à présent, le ministère ne voulait pas payer à la place des assureurs. Mais il n’aura peut-être plus le choix. Car ce qui se dessine est grave: on voit la chirurgie se concentrer dans le privé et l’obstétrique, dans le public.»

Le directeur général de la Macsf-Sou médical conclut de cette manière : «La Californie a fini par écrêter les sinistres, car les femmes ne pouvaient plus accoucher, raconte Michel Dupuydauby . On est à la veille de cette situation en France. Demain, il faudra peut-être aller accoucher en Belgique.»

* Oniam : Office national d’indemnisation des accidents médicaux.

Pour Marsh, l’obstétrique reste assurable

L’assureur allemand Hannover Ré couvre actuellement 150 obstétriciens libéraux français. Ont-ils du souci à se faire, comme ceux assurés auprès de la Macsf ? A en croire le courtier qui fait l’intermédiaire, pas vraiment. «Le risque obstétrique reste assurable, on continuera sur ce créneau, déclare Philippe Auzimour, responsable chez Marsh. Hannover Ré présente un avantage: il ne couvre pas que le risque médical, mais aussi des entreprises et des particuliers, cela confère une sécurité. Je comprends la Macsf, qui ne peut pas mutualiser le risque autant que nous.» Marsh et Hannover Ré vont-il récupérer les praticiens résiliés par la Macsf ? «On sera prêt à en reprendre, mais on sélectionnera les candidatures selon le profil de risques, prévient Philippe Auzimour . On n’a pas de quota précis.» Le tarif est de 12 400 euros – 18 675 euros si l’obstétricien pratique des amniocentèses ou s’il présente une sinistralité importante. Pour les obstétriciens dont le profil ne plairait pas à Marsh, restera alors deux solutions : Micl, la société irlandaise reprise par MMA l’été dernier, mais dont les tarifs viennent de prendre + 20 %. Ou alors le BCT (bureau central de tarification des assurances).
>>> D. CH.

> D. CH.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7886