NOUS SOMMES le 11 décembre 1884. Minna R., née en 1865 et demeurant à Wittenweier, près de Lahr, dans la forêt Noire, est hospitalisée. Elle meurt dix jours plus tard. En 1886, Felix Frankel décrit son cas dans « Arch Pathol Anat Physiol Klin Med » (1886 ; 103 : 244-263).
Minna R. est tombée malade à 18 ans, à l'hiver 1883 ; elle a présenté trois accès de palpitations à début brutal, anxiété, vertiges, céphalées, vomissements, constipation, faiblesse. Quand elle est hospitalisée le 11 décembre 1884, on constate des signes indirects d'hypertension artérielle maligne : tension des artères, pulsations épigastriques, épistaxis, oedème papillaire et hémorragies au fond d'oeil, céphalées... Dix jours plus tard, Minna est morte.
« Maladie vasoactive généralisée ».
L'autopsie (Max Schottelius et Rudolf Maier) révèle une tumeur dans chaque surrénale : un sarcome et un angiosarcome. Interprétation de Frankel : la patiente présentait une « maladie vasoactive généralisée ». Le terme de phéochromocytome n'est pas utilisé : il naît en 1912, sous le microscope de Ludwig Pick, pathologiste de Berlin, qui constate qu'un fixateur au chromate fait apparaître une couleur particulière, d'où « Chromate Brown » ou « Phäo (phéo) Chrom »). Felix Frankel est considéré comme celui qui a fait la première description du phéochromocytome ( cf. l'ouvrage de référence « Clinical and Experimental Pheochromocytoma », de William Manger et Ray Gifford, et une note diffusée lors du 1er Symposium international sur le phéochromocytome).
Revenons au XXIe siècle. Des chercheurs de divers horizons se posent deux questions à propos de la publication de Frankel : 1) S'agissait-il réellement d'un phéochromocytome ? 2) Etant donné le jeune âge de Minna R. et le caractère bilatéral des tumeurs, pouvait-il s'agir d'une maladie héréditaire ? Les chercheurs ont évoqué des diagnostics différentiels : maladie de von Hippel-Lindau provoquée par des mutations du gène VHL ; néoplasie endocrinienne multiple de type 2 (MEN-2) provoquée par des mutations de RET ; syndromes phéochromocytomes-paragangliomes provoqués par des mutations des sous-unités B, C et D des gènes de la succinate déshydrogénase (SDHB, SDHC, SDHD).
Il était nécessaire de s'intéresser à la famille. Par les registres de la paroisse de Wittenweier, on obtient le nom des parents et des frères de Minna. Dans l'annuaire de Wittenweier, on trouve vingt entrées par le nom de famille de Minna. On écrit ; quatre réponses. On va les voir ; on est orienté vers un parent vivant qui a peut-être un phéochromocytome. Une autre branche de la famille vit à Hambourg. On établit des contacts. Au total, on parvient à construire un arbre généalogique : six descendants ont développé un phéochromocytome entre 36 et 44 ans et quatre avaient un carcinome médullaire de la thyroïde.
Mutation germinale de RET.
On obtient de l'ADN de quatre parents vivants : tous sont porteurs d'une mutation germinale de RET (TGC —> TGG) (Cys634Trp).
Ainsi, quatre descendants qui ont eu un carcinome médullaire de la thyroïde plus quatre descendants vivants qui ont une mutation de RET : on porte le diagnostic de MEN-2 (néoplasie endocrinienne multiple) dans la famille.
Or Minna, à l'autopsie, avait un goitre. «Etant donné le carcinome médullaire de la thyroïde et le phéochromocytome dans cette famille ainsi que la mutation Cys634Trp de RET, la patiente avait un MEN-2», concluent les auteurs. Et, dans le cadre de MEN-2, bel et bien un phéochromocytome.
Neumann H et coll. « New England Journal of Medicine » du 27 septembre 2007, pp. 1311-1315.
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