Découvertes et inventions
En matière d'obstétrique, le XVIIIe, siècle des Lumières, était un siècle d'obscurantisme. Les trois corps qui pouvaient justement prétendre à l'intérêt des choses du sexe - médecins, chirurgiens, sages-femmes - se disputaient avec véhémence le droit et la priorité d'y voir plus clair dans un combat qui, bien avant le débat scientifique et philosophique qu'on découvre dans les livres, était celui des privilèges.
Les médecins, qui ne pratiquaient guère l'obstétrique, en dissertaient beaucoup. « J'annonce, dit Astruc sur le frontispice de son "Art d'accoucher réduit à ses principes", que jamais je n'ai moi-même accouché » !
Les chirurgiens éprouvaient toutes les peines du monde à s'instruire. Il fallait obtenir des faveurs presque royales pour pousser la curiosité de son art jusqu'à prétendre être admis à l'Hôtel-Dieu dans la « salle des femmes grosses et accouchées ».
Un troisième corps, en fait, bien oublié des livres, pouvait revendiquer la pratique de bien plus d'accouchements que les deux précédents réunis : celui des sages-femmes. A Paris et dans les grandes villes, deux années d'apprentissage prescrites par les règlements de chirurgie de 1730 permettaient aux praticiennes les plus hardies de gagner le titre de « Maîtresse Sage-Femme » ; tandis que la province déléguait encore à une « matrone » inculte et dévouée, dans chaque village, le pouvoir d'accoucher.
Le siècle des Lumières, porteur d'une nouvelle conscience du corps et du souci incongru d'organiser le bien-être des populations, révèle fort à propos le sort de l'une d'entre elles : Marie-Angélique du Coudray. Son destin, quasi missionnaire, va révolutionner l'enseignement de la pratique obstétricale et tissera la toile d'un premier réseau de santé publique.
Transgresser l'interdit
Née en 1712 à Clermont-Ferrand, Marie-Angélique fut d'abord apprentisse chez Anne Bairsin, sage-femme du Châtelet de Paris, puis graduée à Saint-Côme en 1739, avant d'être nommée sage-femme jurée le 21 février 1740. Ayant exercé à Paris durant près de onze ans puis revenue dans sa province, elle se convainquit très tôt que la morbidité considérable du partum dans les campagnes tenait pour une grande part à l'obscurantisme des matrones et à l'inexpérience des chirurgiens. Le salut public en la matière revenait donc à enseigner.
Son premier mérite est là : dans la conception géniale d'un outil pédagogique qui « permettrait sans offense de transgresser l'interdit de la pudibonderie ». En 1759, elle conçut sa « machine ».
Découvrons-la en compagnie de l'intendant de Bretagne qui reçut cette lettre de celui du Poitou : « Cette machine représente le corps d'une femme. Madame du Coudray y place le corps factice d'un enfant dans toutes les positions imaginables et, après chaque position, elle montre à ses élèves comment il faut s'y prendre pour accoucher une femme en tel ou tel état... Ses élèves sont bien instruites. Elles savent accoucher comme un cordonnier sait faire des souliers. C'est tout ce qu'il faut. »
Dès lors commença sur tout le territoire une campagne pédagogique d'une ampleur sans précédent. Récompensée par une pension royale de près de 8 000 livres, Madame du Coudray fut chargée d'exhiber partout, jusque dans les moindres provinces, la machine à accoucher. On imagina, bien sûr, des relais d'information. Et les curés de chaque paroisse durent choisir parmi leurs ouailles celles qui seraient le plus capables de suivre durant deux mois, trois heures matin et soir, au chef-lieu de la Généralité, l'enseignement obstétrical que Madame du Coudray, utilement accompagnée de son neveu ou de sa nièce, venait livrer en prosélyte infatigable.
« Vous trouverez sa personne assez ridicule par la haute estime qu'elle a d'elle-même, prévient Turgot à l'intention d'un autre intendant, mais (...) l'essentiel est qu'elle donne des leçons utiles et je crois que les siennes le sont beaucoup. » De fait, Madame du Coudray savait aussi hautement faire récompenser ses mérites par la vente de ses « machines à démontrer » ou l'acceptation facile de « galanteries de fin de cours » qui coûtèrent aux pauvres paysannes d'Evreux jusqu'au prix d'une montre en or !
Corporatisme
L'abondante correspondance des intendants de province bruisse de ces persiflages qu'il faut savoir tempérer du ressentiment compréhensible des maîtres chirurgiens. En ces temps révolus de protectionnisme corporatiste, comment pouvaient-ils supporter de voir ces jeunes femmes recevoir des lettres de maîtrise qui, hors de leur contrôle, les mettaient en droit d'exercer l'art des accouchements ?
Ils s'en émurent, montèrent des cabales, fomentèrent, répandirent sur elles les plus viles rumeurs (ne disait-on pas de ces femmes instruites qu'on allait bientôt les envoyer à Cayenne ?) et seul le versement d'une somme honnête aux Maîtrises chirurgicales pour « frais d'enregistrement des diplômes » finit par avoir raison de leur indignation.
Des médecins démonstrateurs
Au terme de vingt-cinq longues années passées ainsi sur les routes, visitant chaque province, utilisant chaque occasion d'enseigner, voilà donc le bilan que pouvait revendiquer de sa retraite aquitaine la maîtresse sage-femme : près de 5 000 accoucheuses avaient été formées, près de 500 médecins et chirurgiens étaient devenus « démonstrateurs », plusieurs milliers de femmes jeunes et d'enfants à peine nés avaient eu ainsi la vie épargnée. L'obstétrique était devenue un enjeu conscient de santé publique.
L'histoire obstétricale du XVIIIe est symptomatique de la lutte des corporatismes et des sexes.
Elle préfigure en cela le mouvement perpétuel des révolutions modernes. La sage-femme émancipée, aiguillon des chirurgiens et des médecins, les aura éveillés, sensibilisés, formés... pour mieux retomber ensuite, institutionnalisée, sous leur coupe.
Mais n'en va-t-il pas ainsi des révolutions ?
L'art de l'accouchement selon Baudelocque
Tandis que Marie-Angélique du Coudray parcourt la France avec sa machine à accoucher, le chirurgien Jean-Louis Baudelocque (1745-1810) met au point son traité sur « l'Art des accouchements », publié pour la première fois en 1781 et qui sera réédité de nombreuses fois. L'ouvrage est plus précisément intitulé « Principes sur l'art des accouchemens, par demandes et réponses, en faveur des élèves sages-femmes ». Il y détaille notamment les positions foetales normales et anormales. Nommé par Napoléon en 1806, il sera le premier titulaire de la chaire d'obstétrique à l'Ecole de santé, devenue la faculté de médecine de Paris.
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