DE NOTRE CORRESPONDANTE
«NOTRE ÉTUDE démontre qu’une réduction modeste, mais prolongée, de la température corporelle contribue à accroître la durée de vie des souris», explique au « Quotidien » le Dr Bruno Conti, chercheur au Scripps Research Institute (La Jolla, Californie). «Elle démontre aussi qu’il existe des façons d’augmenter la longévité sans nécessairement se soumettre à une restriction alimentaire. Nos souris étaient nourries à volonté et mangeaient autant que les souris témoins.»
«Notre modèle aborde quelque chose de plus fondamental que la quantité de nourriture, ajoute le Dr Tamas Bartfai (Scripps Research Institute, La Jolla). Il agit au niveau du point de réglage de la régulation thermique. Ce point de réglage est gouverné par la température intracérébrale et les neurotransmetteurs. Ce mécanisme, à notre avis, constituera une bonne cible pour la manipulation pharmacologique ou la manipulation par chauffement.»
On savait que la restriction calorique prolonge la durée de vie de nombreux animaux. Les rats soumis au régime (40 % en moins d’apport calorique) vivent jusqu’à 30 % plus longtemps que leurs congénères qui se nourrissent à volonté et vieillissent plus lentement.
Cependant, on ne sait pas très bien comment la restriction calorique allonge la longévité. L’explication lE plus couramment invoquée implique les radicaux libres. On a également émis l’hypothèse que la réduction de température corporelle, consécutive à la restriction calorique chez les rongeurs et les primates, pourrait jouer un rôle clé.
Thermostat central.
En effet, «on sait que des réductions modestes de température prolongent la durée de vie et ralentissent le vieillissement des organismes poïkilothermes, comme les nématodes, la mouche drosophile et les poissons, précise le Dr Conti. Les expériences sur ces organismes étaient possibles si l’on changeait simplement la température ambiante. C’est la première fois que des expériences similaires ont pu être accomplies chez des homéothermes».
Ce travail repose sur une bien meilleure compréhension de la façon dont le cerveau contrôle la température corporelle chez les mammifères.
L’aire préoptique de l’hypothalamus contient le thermostat central qui garde la température corporelle dans des limites très étroites, même si l’animal est exposé à un important écart des températures ambiantes.
Pour créer des rongeurs dont la température corporelle est réduite, Conti et coll. ont imaginé que, en apportant une source de chaleur au sein ou au voisinage de l’aire préoptique, simulant de cette façon une augmentation de la température corporelle, des mécanismes thermorégulateurs compensateurs pourraient être activés avec pour conséquence une réduction de la température corporelle.
Pour cela, ils ont créé une souris transgénique qui surexprime le gène UCP-2 uniquement dans les neurones hypocrétines (Hcrt, ou orexines). Ces neurones sont situés uniquement dans l’hypothalamus latéral, au voisinage de l’aire préoptique ; la protéine UCP-2 permet à la mitochondrie de transformer l’ATP en chaleur.
C’est un peu comme si les chercheurs avaient placé un petit chauffage dans l’hypothalamus.
Résultat : la température locale est augmentée dans l’hypo- thalamus latéral (de 0,65 °C) et dans l’aire préoptique (de 0,32 °C) des souris transgéniques (Hcrt-UCP-2) ; cela entraîne un abaissement continu de leur température corporelle, de 0,3 a 0,5 °C en dessous de la normale.
Réduction de la mortalité de 25 %.
Ces souris transgéniques, légèrement hypothermiques, ont le même apport alimentaire et la même activité physique que les souris normales, mais elles présentent un plus grand rendement énergétique, une réduction de 25 % de la mortalité pendant la vie adulte, et une espérance de vie accrue de trois mois (de 12 %) chez les mâles et de presque quatre mois (de 20 %) chez les femelles.
Si les mécanismes qui sous-tendent la longévité accrue de ces souris transgéniques restent à élucider – ce qui constitue le prochain objectif des chercheurs –, ils pensent, au vu de leurs données, que les mécanismes pourraient être similaires aux mécanismes qui médient les effets de la restriction calorique.
Chez les souris légèrement hypothermiques, les besoins métaboliques, nécessaires pour maintenir une température corporelle plus faible, sont réduits, ce qui pourrait entraîner moins de lésions oxydatives ou de lésions par radicaux libres, et prolonger la durée de vie. On peut penser qu’une baisse minime de la température corporelle (d’un demi-degré) serait plus facile à tolérer qu’un régime induisant un état de faim permanent.
«Notre travail montre que cela est possible chez les souris et propose une façon de le faire. On pourrait imaginer chez l’homme une approche de thérapie génique ou l’implantation d’un petit dispositif de chauffage, confie au “Quotidien” le Dr Conti. Toutefois, il est vraiment trop tôt pour considérer sérieusement ces éventualités.»
Selon le Dr Clifford Saper (Harvard Medical School, Boston), auteur d’un commentaire associé, l’équivalent chez l’homme serait un allongement de la durée de vie de sept à huit ans, «un changement assez important de la longévité». «Si cela était dû à un retard du vieillissement, comme le suggère le déplacement de la courbe de mortalité, cela pourrait accroître considérablement la productivité d’une vie chez les humains.»
«On ignore les raisons de la stabilité remarquable de la température corporelle observée chez les mammifères, et pourquoi cette température a été sélectionnée, mais on voudrait connaître les conséquences de l’hypothermie avant de poursuivre dans cette voie pour accroître la longévité», ajoute-t-il.
Conti et coll. « Science », 3 novembre 2006, pp. 825 et 773.
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