LES ÉGYPTIENS ont «le foie paresseux». Longtemps regroupées dans la vaste catégorie des « maladies du foie », les atteintes hépatiques font, en quelque sorte, partie du patrimoine national, comme l'explique Saadia Radi, anthropologue au centre d'études et de documentation économiques et juridiques du Caire (Cedej-Cnrs). A preuve, les propos d'un spécialiste égyptien lors d'un colloque organisé au Caire en 1977 : «Si nous regardons l'être égyptien, ses habitudes, ses traditions, son environnement où se répand la jaunisse provoquée par les virus ou la bilharziose (…) on ne peut que demander la généralisation des nouveaux moyens de diagnostic.»
En 1991, le créateur du premier centre de soins spécialisé dans le domaine en Egypte et au Proche-Orient, le Pr Yassin Abd al-Gaffar, affirmait encore : «La plus grave maladie que les Egyptiens affrontent actuellement, ce sont les maladies chroniques du foie. Tous les virus qui les provoquent existent en Egypte. La condition sanitaire en Egypte favorise la contamination. Un petit nombre des malades guérit réellement, mais la majorité ne guérit qu'en apparence et la maladie continue à évoluer.» A cette époque, il s'agissait de promouvoir l'accès au vaccin contre l'hépatite B, découvert dans les années 1980. Malgré l'introduction du vaccin, les hépatites continuent à faire des ravages.
A partir de 1992, la polémique enfle. Découvert en 1989, le VHC est devenu le nouveau cauchemar des Egyptiens. Les médecins s'alarment et réclament des études épidémiologiques, demandent le contrôle du sang et des banques de sang et celui des déchets médicaux. En 1994, lors d'un colloque en Arabie saoudite, le Pr Abd al-Gaffar s'émeut du nombre élevé d'hépatites B et C en Egypte. Les autorités saoudiennes exigent alors, pour toute personne désireuse de travailler sur leur territoire, un certificat médical attestant qu'elle n'est pas porteuse du virus.
Catastrophe nationale.
Une exigence vécue comme une catastrophe – l'Arabie saoudite absorbe une grande partie de la main-d'oeuvre égyptienne – et qui oblige le gouvernement à réagir. Les analyses effectuées dans les laboratoires du ministère de la Santé égyptien révèlent l'ampleur de l'épidémie. Les premières enquêtes montrent le lien entre les campagnes de traitement de la bilharziose menées entre 1960 et 1980 et les premières infections, mais aussi le rôle important de la contamination iatrogène dans les hôpitaux, cabinets médicaux et dentaires. Les premières mesures sont prises. Plusieurs affaires de sang contaminé conduisent à la fermeture de quatre banques de sang.
De cette période, les Egyptiens gardent une profonde défiance à l'égard des médecins et du système médical. Une défiance qui se nourrit de toutes sortes de rumeurs sur la pollution des eaux ou la contamination des aliments par des engrais ou des pesticides et que le récent épisode de la grippe aviaire n'a fait que renforcer. En dépit du nombre élevé d'hôpitaux publics ou privés et d'un système de sécurité sociale, les dysfonctionnements sont volontiers dénoncés. Le recours aux vendeurs d'épices, herboristes ou autres faiseurs de miracles (thérapie par les pigeons, cure de lait et d'urine de chamelle contre l'hépatite C) ne s'explique pas par un refus de la biomédecine, qui a une longue tradition dans le pays, mais témoigne de la difficulté de l'accès effectif à des soins de qualité. «Un riche Cairote se soigne comme un riche Parisien –il peut utiliser la médecine égyptienne comme il peut aller se soigner dans les meilleures cliniques parisiennes, s'il estime que la médecine égyptienne ne répond pas à ses attentes– et un Egyptien pauvre se soigne, lui, comme il peut», souligne Saadia Radi.
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