Deux décrets annoncés sur le piercing

La longue marche vers la précaution

Publié le 17/01/2008
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LA SÉCURITÉ SANITAIRE est une longue marche. Et l'histoire de l'encadrement réglementaire des pratiques de piercing et de tatouage devrait rester dans les annales de l'inertie administrative : une inertie qui, pendant une décennie, aura primé sur le principe de précaution. Dès 1998, en effet, l'alarme était sonnée par la revue américaine « Clinical Infectious Diseases », au sujet des complications infectieuses graves d'actes de piercing*. En France, un infectiologue de l'hôpital Rotschild, le Dr Jean-Baptiste Guiard-Schmid, décidait de constituer un groupe français d'étude et de recherche sur le piercing, tout d'abord informel, puis placé sous l'égide de l'AP-HP. Une étude réalisée dès 1998 auprès de 600 jeunes Français de 11 à 15 ans montrait que plus d'un tiers d'entre eux envisageaient de subir un tatouage ou un piercing et estimait la fréquence annuelle des actes à 100 000. Elle évaluait à un millier le nombre des perceurs exerçant alors, avec une grande hétérogénéité des pratiques : studios de piercing, coiffeurs-perceurs, perceurs ambulants, marchés, fêtes, plages, etc. Et elle dressait un inventaire impressionnant des complications liées à tous ces actes. A la fin de 1999, une enquête menée en région parisienne confirmait que les pratiques étaient inadaptées en matière de stérilisation et d'asepsie.

Une situation qui dure. Pour son rapport publié il y a quelques jours sur le sujet, l'Académie nationale de médecine a dépêché l'un des siens au Salon du tatouage et du piercing ; il a constaté, sur une trentaine de stands où étaient effectués des actes, «l'absence totale (...) des conditions sanitaires indispensables pour l'accomplissement d'actes correspondant à une agression du corps humain».

Des initiatives restées lettre morte.

Pourtant, du législateur aux agences sanitaires, en passant par les sociétés savantes, on ne compte plus les instances qui se sont saisies du sujet, abondamment relayées, chaque fois, par les médias. Mais, chaque fois, ces initiatives, jusqu'à aujourd'hui, sont restées lettre morte :

– Le 17 avril 2000, l'Assemblée votait la création d'une commission d'enquête sur les conditions de sécurité sanitaire liées aux différentes pratiques non réglementées de modifications corporelles – commission retoquée trois mois plus tard, malgré l'avis favorable de la Commission des affaires culturelles familiales et sociales.

– Le 15 septembre 2000, la section des maladies transmissibles du CSHPF (Conseil supérieur d'hygiène publique de France) rendait un avis sur les «règles prophylaxiques des infections pour la pratique d'actes corporels sans caractère médical avec effraction cutanée». Il demandait la formation et l'information des professionnels, la désinfection et la stérilisation du matériel, à défaut de matériel à usage unique disponible, l'immunisation des professionnels contre le virus de l'hépatite B, ainsi que des contrôles des sites d'exercice.

– Le 28 juin 2001, l'AP-HP publiait le « Guide des bonnes pratiques du piercing », rédigé par le groupe de travail du Dr Guiard-Schmid. Tiré à 5 000 exemplaires (épuisé depuis plusieurs années), il récapitulait les «mesures élémentaires de prévention à l'attention des professionnels des piercings, des tatouages et des rasages»: utilisation du matériel à usage unique, propreté des locaux, désinfection de la peau des clients, stérilisation des matériels, vaccination contre l'hépatite B, mise en garde contre les pistolets automatiques et contre la pose d'un piercing sur une personne atteinte de maladie ou subissant un traitement qui réduit les défenses immunitaires.

– Le 7 octobre 2003, l'Assemblée rejetait un amendement qui instaurait une information écrite préalable des personnes sur les conséquences et les risques des modifications corporelles, telles que le tatouage ou le perçage.

– En mai 2005, le Conseil national de l'Ordre des médecins publiait des conseils aux futurs clients désireux de faire l'objet d'un tatouage ou d'un perçage.

– Le 16 janvier 2007, le Dr Bernard Accoyer (alors président du groupe UMP à l'Assemblée) adressait une question écrite au ministre de la Santé sur la nécessité de réglementer des pratiques de plus en plus répandues.

– Le 9 janvier dernier, l'Académie de médecine montait à son tour au créneau et réclamait «des mesures de réglementation ou au minimum d'encadrement». Elle édictait une liste de dix recommandations appuyées sur un rapport très complet qui détaille les nombreuses complications de ces gestes «réalisés sans aucun contrôle médical», estimant «indispensable que des conditions de sécurité identiques à celles d'un acte médico-chirurgical soient assurées».

Le décès d'une jeune fille de 19 ans.

L'inertie des autorités sanitaires dans ce dossier n'a même pas été ébranlée par un événement dramatique : la mort, survenue en décembre 2003, d'Elise O., 19 ans, victime d'une endocardite infectieuse, avec valvulopathie mitrale ; la sérologie avait révélé la présence d'un staphylocoque doré dans le nez de la jeune patiente, avec pour unique porte d'entrée le piercing nasal qu'elle s'était fait poser à la fin du mois d'octobre 2003. Ni l'antibiothérapie ni deux interventions chirurgicales ne parvinrent à enrayer l'embolie septique du tronc cérébral (« le Quotidien » du 18 mars 2004). Le cas connut un retentissement médiatique considérable. «C'est l'éternelle histoire du carrefour dangereux: il faut attendre qu'il y ait un mort pour que l'on se décide enfin à installer un feu tricolore», commentait, désabusé, le Dr Guiard-Schmid.

Une réglementation à compléter.

Mais, contre toute attente, l'histoire sanitaire n'a pas accéléré : il aura fallu patienter près de quatre ans encore avant que « le Quotidien » ne puisse annoncer que deux décrets, rédigés par le bureau des risques infectieux liés aux soins, à la DGS (Direction générale de la santé), validés par le Conseil d'Etat en juillet dernier, sont actuellement «dans le circuit de signature ministérielle».

Le premier concerne les produits de tatouage et de perçage, encres et bijoux, leurs conditions de fabrication et leurs règles de stockage. Le second porte sur les « pratiques et risques du tatouage et du perçage ». Il édicte une demi-douzaine de règles principales : les professionnels devront déclarer auprès de l'administration leur activité ; ils devront recueillir le consentement écrit des personnes majeures et les autorisations des parents pour les mineurs ; les clients devront recevoir une information détaillée concernant les risques sanitaires ; les professionnels devront se conformer aux règles d'hygiène et de salubrité ; ils devront suivre une formation appropriée sur ces règles et auront obligation d'utiliser des dispositifs médicaux stériles ou stérilisés lors de tout contact avec la peau, qu'il y ait ou non effraction de la barrière cutanée.

Ces deux décrets attendent les signatures des trois ministres concernées : Roselyne Bachelot pour la Santé, Rachida Dati, pour la Justice, et Christine Lagarde, pour l'Economie. Sauf imprévu, ils compléteront, à partir du mois prochain, la loi du 9 août 2004, dite loi de santé publique.

Pour autant, l'ensemble du dispositif réglementaire restera inachevé, dans l'attente d'un décret sur la reconnaissance de la profession de perceur. De même, les contenus des formations des professionnels et des informations délivrées aux clients devront encore faire l'objet d'arrêtés ministériels, tout comme les dispositions de contrôle et de vérification des établissements de piercing.

«Toutes ces mesures, en espérant qu'elles seront un jour adoptées, ne suffiront pas, estime cependant le Pr Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses de l'hôpital Tenon, le seul à disposer d'une consultation piercing au sein de l'AP-HP : sans un important accompagnement pédagogique auprès de la profession, on risque d'observer les effets pervers des réglementations, avec la prolifération des pratiques clandestines, plus difficiles à surveiller et plus exposées aux transmissions infectieuses. C'est la raison pour laquelle le groupe de travail mis en place par Jean-Baptiste Guiard-Schmid avait tenu à impliquer les représentants des professionnels.» «Quand même, après cette panne réglementaire, l'arrivée des décrets est une bonne nouvelle», se félicite le PU-PH. En attendant la suite.

* Samantha et coll. Infectious complications of body piercing, 1998, 26 : 735-740.

Les exemples étrangers

La France sera l'un des derniers pays à adopter des dispositions réglementaires sur les activités du piercing. Aperçu des mesures instaurées partout dans le monde :

Allemagne : des contrôles sanitaires encadrent les pratiques de tatouage et de perçage (textes législatifs de septembre 2003).

Autriche : les opérateurs de piercing et de tatouage doivent avoir une licence de commerce cosmétique et suivre les règles de stérilité et d'équipement : les porteurs de tatouages ou de perçages subis au cours des 12 derniers mois sont exclus du don du sang (loi de 2002).

Belgique : les conditions d'exercice, le lieu et le matériel, les procédures d'hygiène sont définies par l'arrêté royal du 8 juillet 2005.

Canada : tout studio de tatouage ou de perçage doit recevoir l'agrément des autorités sanitaires.

Espagne : accréditation délivrée par les autorités sanitaires pour le local, les techniques et les instruments. Consentement écrit des parents pour les moins de 18 ans.

Etats-Unis : six Etats ont adopté des réglementations sur les conditions du perçage et treize sur celles du tatouage.

Italie : avant d'obtenir une autorisation d'exercice, les professionnels doivent suivre une formation de 30 heures de cours (circulaires ministérielles de 1998).

Norvège : les règles d'hygiène à respecter lors des tatouages et des perçages sont détaillées par l'Autorité de sécurité alimentaire (décembre 2005).

Royaume-Uni : le perçage génital chez la femme est interdit, au même titre que l'excision et que toute modification des organes génitaux féminins pour des raisons non médicales (décisions gouvernementales de 1982 et 1985).

Suisse : les objets servant au perçage et au tatouage sont réglementés par une ordonnance du 23 novembre 2005.

Des risques bien documentés

«L'un des piercings les plus rares, mais aussi les plus dangereux, concerne les organes génitaux, écrit le Pr Roger Henrion dans la dernière « Lettre de l'Académie de médecine » ; ils se situent dans des zones très sensibles, formées de corps érectiles, contenant des corps caverneux, gorgés de sang, ce qui favorise les complications hémorragiques et infectieuses, dont la fréquence serait de l'ordre de 10 à 20%. Le risque est accru par l'existence de leucorrhées ou d'une infection urinaire, le frottement des sous-vêtements, la macération des tissus lésés. Outre des réactions allergiques dues au matériel utilisé pour le bijou, on observe des hémorragies, des hématomes, des infections locales pouvant s'étendre à la partie haute de l'appareil génital et engendrer une stérilité, des infections sexuellement transmissibles, herpès ou papillomavirus. Les complications sont redoutables: septicémies, endocardites, hépatitesB, C ou sida. La cicatrisation est toujours lente, laissant parfois subsister de vilaines cicatrices.»

Selon le groupe de travail Guiard-Schmid, de 10 à 20 % des piercings se compliquent d'une infection bactérienne locale. Sont également citées des complications odonto-stomatologiques qui concernent massivement le piercing de langue et accessoirement des lèvres, joues et labret* (fractures dentaires, lésions gingivales, oedèmes de la langue, hypersalivation).

* Lèvre inférieure.

Chiffres

Selon le « Guide des bonnes pratiques » de l'AP-HP (2001), au moins 100 000 actes de piercing sont réalisés chaque année en France. Le nombre des professionnels est estimé entre 800 et 1 400.

> CHRISTIAN DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8292