SANS DOUTE TIRE-T-IL SES RESSOURCES de son absence d'ambition. Il n'est pas candidat. Ni à sa succession ni à la présidence. Tout ce qu'il souhaite, c'est laisser le souvenir d'un réformateur. Il veut partir un jour, bientôt, avec la fierté d'avoir achevé la réforme des retraites et celle du système de santé, et d'avoir engagé celle de l'Etat. Beaucoup de Français, loin de l'en féliciter, lui reprocheront peut-être ces accomplissements. Mais nous sommes dans une époque où la démocratie fonctionne de telle manière que le peuple ne sait pas nécessairement où se situe son intérêt. Il est certes dangereux d'aller à contre-courant de la volonté populaire. Jacques Chirac ne l'ignore pas qui, sans changer de Premier ministre, a fait un brutal virage à gauche au lendemain des régionales et s'est empressé de mettre l'accent sur la cohésion sociale après avoir servi la cause des entreprises.
SI LE PAYS ETAIT MOINS CYNIQUE, IL EPROUVERAIT DE LA COMPASSION POUR LE PREMIER MINISTRE
L'essentiel, c'est la réforme.
M. Raffarin aurait pu s'offusquer d'un tel reniement. Mais il s'accroche à ce qu'il considère comme l'essentiel : la poursuite des réformes. Et en somme, là où il se trouve encore, il est en position d'arbitre. Quand Nicolas Sarkozy, tout à la fièvre de la compression des dépenses, interpelle le chef de l'Etat pour qu'il freine les ardeurs humanistes de Jean-Louis Borloo (le ministre qui a trouvé l'argent pour financer les indemnités des « recalculés »), c'est le chef du gouvernement qui arbitre. Quand Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture, exige 20 millions d'euros pour calmer les intermittents (lesquels, d'ailleurs, lui jettent sa monnaie à la figure), c'est M. Raffarin qui tranche. Bref, la fonction fait l'homme. Et même si M. Sarkozy en fait des tonnes avec ses conférences de presse plus courues que celles de M. Chirac, sa manière d'interpeller l'opposition au Parlement, sa façon d'envahir tous les domaines, surtout ceux qui ne sont pas les siens, par exemple, quand il affirme qu'il faudra bien un jour réviser la loi sur les 35 heures, même si, pour garder quatres centimètres carrés au soleil, MM. Borloo et Douste-Blazy, se lancent dans la mêlée médiatique à leur tour, le Premier ministre n'éprouve, semble-t-il, aucune amertume devant cet impudique déballage d'egos.
Précaire destin.
Il y a, sous ce théâtre frénétique du discours public, des fondations qui ne sont ni caractérielles ni virtuelles. Elles ont été mises en place par ce « 21 avril à l'envers » (dixit François Fillon) qui a secoué la majorité presque aussi durement que le 21 avril 2002 a secoué la gauche. M. Raffarin doit la prolongation de sa délégation de pouvoirs à une décision bizarre du président de la République qui n'a pas recouru à la technique du fusible. On ne saurait imaginer de destin plus précaire, entièrement déterminé par un caprice présidentiel (ou peut-être, sait-on jamais, un coup de génie ?).
Et le plus grave, c'est que le chef de l'Etat a pris les mêmes pour faire autre chose, de sorte que l'opposition lui dit que pour faire autre chose, il fallait en prendre d'autres.
Cependant, l'opposition, Chirac s'en moque. Elle s'oppose, c'est bien naturel. Là où le danger est plus aigu, c'est quand la majorité parlementaire est gagnée par le malaise : la droite pure et dure n'aime pas l'humanisme de M. Borloo, nouveau saint Martin toujours prêt à partager le budget avec les pauvres, les surendettés, les mal-logés ; les gaullistes purs et durs n'aiment pas M. Sarkozy, traître de naguère, balladurien dans l'âme, et qui ne coopère avec Chirac que pour lui succéder ; les nostalgiques d'Alain Juppé l'attendent encore désespérément ; les membres de l'UMP favorables à M. Sarkozy parce qu'il travaille et qu'il n'a pas froid aux yeux, se dressent contre les autres.
La droite divisée.
De sorte que le maintien de M. Raffarin à Matignon indispose davantage la majorité qu'il ne soulève les sarcasmes de la gauche. Alors, cela fait beaucoup : le Premier ministre est à la fois contraint d'appliquer un certain nombre d'idées différentes des siennes, de lutter contre l'opposition, de se battre contre la concurrence de ses ministres, dont le comportement traduit plus que de l'indifférence à son égard, et en plus, il apparaît comme un facteur de division au sein de sa propre majorité.
Tant d'obstacles suffiraient à la rendre sympathique si ce pays n'était celui où l'adjectif politique est toujours précédé du substantif cynisme et où les dirigeants ont nécessairement, aux yeux des Français, ce qu'ils méritent. On nous permettra donc de ne pas nous laisser emporter par le courant et d'aller jusqu'à éprouver plus de commisération pour ce chef de gouvernement poursuivi par la meute que pour les Auguste tonitruants, les stentors de la classe politique.
Cet homme-là a voulu changer les choses et le veut encore malgré tout. Comme il est humble, rien ne parvient à l'humilier. Comme il n'attend rien de l'avenir, il donne tout ce qu'il a au jour présent. Comme il a déjà échoué, il ne craint pas de prendre des risques. Comme il lui est arrivé de réussir contre vents et marées, il tente et retente sa chance.
Jusqu'au jour, proche peut-être, où on lui signifiera la fin de son contrat. C'est vrai que Jean-Pierre Raffarin s'efforce de dépasser la conjoncture pour s'inscrire dans l'histoire et qu'il n'est donc pas aussi modeste que le ferait croire le tableau que nous venons de dresser de lui. Mais c'est un bon, un excellent perdant. Celui qui se dit vaguement qu'après avoir perdu sa chemise, qui sait ? il va tirer le gros lot.
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