QUINZE MOIS après l'entrée en vigueur de la loi de bioéthique, qui entrouvre, à titre dérogatoire, la possibilité de recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines (hESC*), scientifiques et associations de malades s'impatientent des retards de publication des décrets d'application.
Il y a « un vrai besoin de clarification de la situation légale en France », a déclaré le directeur de l'Inserm, Christian Bréchot, lors d'une audition de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) consacrée aux cellules souches. C'est le député socialiste Alain Claeys qui a été chargé de rédiger un rapport sur cette question avec l'aide d'un comité scientifique constitué des Prs Axel Kahn (Inserm), Hervé Chneiweiss (Inserm) et Daniel Louvard (Cnrs-Pasteur). « Avec cette audition publique, j'ai voulu faire le point sur la recherche le plus clairement possible sur les cellules souches et en particulier sur le clonage scientifique », indique le député, précédemment auteur d'un rapport sur la brevetabilité du vivant (« le Quotidien » du 8 mars 2004).
L'un des décrets les plus attendus, depuis plusieurs mois déjà, concerne celui sur les cellules souches des embryons surnuméraires, c'est-à-dire issus de la fécondation in vitro et qui ne font plus l'objet d'un projet parental. Jusqu'à présent, le gouvernement avait mis en place un dispositif transitoire qui permet, pour les équipes agréées par l'Agence de la biomédecine (qui, malgré l'annonce d'un changement, est toujours dirigée par Carine Camby), d'importer et de stocker des lignées de cellules créées à l'étranger.
L'attente des malades.
La situation actuelle est donc paradoxale : les chercheurs sont autorisés à travailler sur des lignées importées mais pas sur celles qu'ils pourraient créer. Pourtant, depuis une vingtaine d'années, des dizaines de milliers d'embryons congelés ont été stockés, faute d'autorisation claire de les détruire, explique le Pr René Frydman. Sur ce total, « De 20 à 25 % pourraient être destinés à la recherche selon la volonté des géniteurs », précise le père scientifique du premier bébé éprouvette français.
Il faut « une cohérence, une absence d'ambiguïté », a insisté le président de l'association France Parkinson, André Hovine, soulignant « l'attente immense des malades » face aux possibilités de nouvelles approches thérapeutiques même s'il faut éviter de donner « des espoirs prématurés et inconsidérés ». « La recherche à partir de cellules extraites d'un individu mort ne pose pas de problème », a ajouté Jean-Claude Ameisen, président du comité d'éthique de l'Inserm. Il est « étrange » qu'un embryon congelé voué à la destruction ait « plus de protection ».
Que doit-on attendre aujourd'hui de la recherche sur les cellules hESC ? Avant tout, il s'agit d'une recherche fondamentale. Si les chercheurs pensent à terme utiliser ces cellules en thérapie cellulaire, ils doivent auparavant « comprendre la fonction de tous ces gènes qui contrôlent le développement et que nous ne connaissons pas encore, faute d'avoir pu, ces dernières années, étudier ces cellules », indique Jacques Hatzfeld, dont le laboratoire de biologie (Cnrs UPR 9045, Villejuif) a été l'un des premiers à être autorisé à importer des lignées de cellules souches. Les cellules hESC sont très prometteuses puisque, contrairement aux cellules adultes que l'on retrouve dans les tissus humains (moelle osseuse, intestin, foie, cœur, etc.), elles sont pluripotentes, c'est-à-dire capables non seulement de se multiplier indéfiniment mais aussi de se différencier, in vitro, vers tous les types cellulaires qui apparaissent au cours du développement humain.
La recherche sur les cellules souches hESC, « qui n'exclut en aucun cas celle sur les cellules souches adultes », précise Alain Claeys, est devenue un enjeu mondial qui a déjà entraîné de nombreux pays dans la course. Mais peu d'entre eux (comme notamment la Corée du Sud, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et les Etats-Unis côté recherche privée) ont accepté de franchir le pas du clonage dit thérapeutique ou scientifique. Dans la loi de bioéthique d'août 2004, le clonage reste interdit, qu'il soit à visée reproductive ou à visée scientifique. C'est notamment à cause de cette double visée que cette technique est si controversée. Le clonage consiste à prélever le noyau d'une cellule somatique adulte et à l'injecter dans un ovocyte préalablement vidé de son propre noyau. En cas de succès, le processus de formation embryonnaire peut commencer. Lorsque le stade embryonnaire est arrivé à quatre cellules, le clone est soit réimplanté dans l'utérus maternel (pour donner naissance à un être cloné), soit cultivé in vitro jusqu'au 5e ou 6e jour : c'est à ce terme que l'on peut cultiver des lignées de cellules souches embryonnaires. Pour les chercheurs, le transfert nucléaire apparaît fondamental pour comprendre les pathologies d'origine génétique. Grâce à la cellule somatique adulte malade qui aura été transférée dans l'ovocyte, les scientifiques peuvent obtenir in vitro des lignées de cellules malades pour en comprendre le mécanisme. A terme, on peut aussi envisager de soigner une pathologie génétique en greffant des cellules clonées saines.
Un outil de la médecine régénérative.
Le Pr Axel Kahn, farouchement opposé, dans un premier temps, au clonage scientifique (le mot thérapeutique est, selon lui, employé encore aujourd'hui de manière abusive), reconnaît qu'il serait temps de s'interroger à nouveau sur la question de son interdiction. Les travaux publiés récemment par les biologistes sud-coréens marquent en effet une étape importante vers la maîtrise du programme génétique. L'équipe dirigée par le Pr Hwang Woo-suk, de l'université nationale de Séoul, avait annoncé en 2004 le premier clonage réussi d'une lignée de cellules souches embryonnaires humaines. Mais aujourd'hui, le transfert nucléaire ne relève plus du miracle technique : c'est devenu « un outil de la médecine régénérative », selon l'expression du Pr Marc Pechanski (Inserm). « Maintenant que la recette est disponible, reste le problème du don d'ovocyte », estime le Pr Kahn. Un problème que le Pr Hwang Woo-suk a d'ailleurs dernièrement rencontré, et qui l'a obligé à démissionner de la présidence de la Plate-forme mondiale de cellules souches, première banque de cellules souches à vocation internationale ( « le Quotidien » du 29 novembre). L'encadrement du don d'ovocyte, c'est justement l'une des nombreuses questions que le député Alain Claeys devra aborder dans son rapport attendu dans le courant du mois de juin.
* Pour human Embryonic Stem Cells.
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