«IL FAUT EN FINIR avec le fantasme d'un progrès planétaire qui serait en réalité négatif, s'exclame Bernard Kouchner. Dans le domaine de la mondialisation de la santé, les avancées sont incontestables!» Dans un grand amphithéâtre de Sciences-Po archicomble, le ministre des Affaires étrangères et des Affaires européennes déroule le film de l'aventure « Santé en France, santé dans le monde », titre de son intervention, en remontant au tout début : «Quand la santé publique était considérée comme une approche à peine technique et un peu vulgaire, les médecins étant priés de cultiver la plus stricte neutralité politique, dans un système où, à l'hôpital comme en ville, ils devaient se contenter d'attendre le patient, en s'abstenant de la moindre initiative internationale.»
Deux mouvements sont successivement apparus, qui ont montré un autre chemin et ont profondément transformé la donne. «Ce fut tout d'abord, en 1971, la création de MSF, explique le fondateur du sans-frontiérisme. Les french doctors se sont mis à aller là où ils étaient appelés, partout dans le monde, les premiers à dire que les enjeux de santé étaient mondiaux, que la santé ne devait pas être traitée comme n'importe quelle marchandise et que, même pour les médicaments, elle ne pouvait pas reposer seulement sur l'économie de marché.»
De médecins hippies décriés au départ, ces international doctors ont fini par décrocher la reconnaissance mondiale, prix Nobel à la clé (1999), la France attendant quand même 1992 (avec un décret Kouchner) pour aménager un statut protégé aux expatriés désireux de partir en mission.
L'autre mouvement qui a bouleversé le cours de la santé du monde, c'est la lutte contre le sida : «Le grand chambardement qui, à partir d'une rumeur venue du côté de San Francisco, au début des années 1980, a révélé les carences, les arrogances d'une médecine dressée dans sa majesté, plutôt dominatrice, certaine de faire le bien des patients en s'arrogeant tous les droits, sans leur dénier de réels égards. Tout cela a changé brutalement.»
La mondialisation de la santé a aussi procédé d'une realpolitik pas toujours glorieuse : «Avec le sras ou la grippe aviaire, observe Bernard Kouchner, nous voyons bien que la peur qu'éprouvent les plus riches d'être contaminés par les plus pauvres a accéléré la prise de conscience en faveur d'une prise en charge planétaire des épidémies.»
La France a été un des pays à l'avant-garde du combat. Elle le reste, estime Bernard Kouchner, deuxième fournisseur mondial du fonds global pour le VIH-sida, première à créer un impôt mondial avec Unitaid et les financements innovants.
Restera-t-elle numéro un au nouveau classement des systèmes de santé édicté par l'OMS ? Bernard Kouchner en doute, tout en se félicitant des avancées accomplies : «Il faut voir la stupeur des étudiants de Harvard, quand je leur présente cette petite carte verte par la magie de laquelle n'importe qui peut accéder n'importe quand à n'importe quel service hospitalier. Il faut prendre conscience de ce bonheur-là et se rappeler toutes les luttes qui l'ont rendu accessible.»
Assurance-maladie pour tous.
Aujourd'hui que la réflexion avance sur l'instauration d'une gouvernance mondiale de santé publique, des questions cruciales restent en suspens.
Au premier rang desquelles, bien sûr, celle du financement : « La charité telle que la pratiquent les ONG, aussi louable soit-elle, ne saurait suffire. Faut-il alors mettre en place une gratuité totale sur la planète et faire financer la santé des riches par les pauvres? Bernard Kouchner estime qu' «à tout le moins, rien ne fonctionnera durablement sans l'instauration d'un système minimal d'assurance-maladie, quitte à recourir à des systèmes de microcrédit, à l'échelle des villages africains.»
«Comment, en tous les cas, nous satisferions-nous, s'interroge-t-il encore, du système actuel à double vitesse: des patients VIH-sida qui bénéficient de la gratuité totale de la prise en charge, alors que ceux qui souffrent d'autres pathologies n'ont pas accès aux hôpitaux etaux soins?»
D'autres débats sont aujourd'hui lancés : «Lors du dernierconseil des ministres, raconte Bernard Kouchner, je me suis élevé avec force contre le concept d'immigration choisie, au nom duquel la France accueillerait volontiers des médecins venus d'Afrique. Mais comment accepterions-nous de nous livrer à un pillage des personnels de santé au sud, alors qu'on compte à peine un médecin pour 100000habitants dans des pays comme le Cameroun, où ils perçoivent tout au plus 100dollars par mois? Si nous traversons une crise de la démographie médicale, ne la réglons pas sur le dos des pays pauvres!»
Réagissant aux discussions franco-françaises sur l'instauration d'une franchise de soins non remboursés, Bernard Kouchner s'interroge enfin : «Quand vous entendez les protestations des catégories les plus favorisées, à l'idée qu'elles vont devoir participer un peu à leurs propres dépenses de santé, imaginez-vous la réaction des mêmes, le jour où on leur demandera de contribuer au système de santé des pays pauvres?» La mondialisation cependant est en marche. «Il va falloir tout partager différemment», prophétise le ministre des Affaires étrangères.
Jacques Lebas prend la relève du Cnam
En raison de sa nomination en tant que ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner passe la main à la chaire de santé et développement dont il était titulaire au Cnam (Conservatoire national des arts et métiers). C'est Jacques Lebas, qui fut aussi président de Médecins du monde, médecin expert en santé publique, qui lui succède. Cette chaire se compose d'un certificat de spécialisation santé publique et développement, destiné à un public de cadres de niveau bac +3 au minimum, et d'un magistère en santé publique et gestion des territoires de santé, qui s'adresse à des médecins territoriaux, à des ingénieurs ou à des administratifs du secteur médico-social.
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