Dix sept muscles, trois nerfs
La langue est un organe impair médian, constitué de 17 muscles (huit muscles pairs et un impair) délimitant, entre eux, des espaces celluleux. Elle comporte une partie postérieure fixée ou base et une partie antérieure libre et mobile, terminée par une portion effilée ou pointe. La muqueuse du dos de la langue est hérissée de multiples papilles filiformes (petites, dispersées, râpeuses), fongiformes (volumineuses, rouges, sur les bords), caliciformes (les plus grosses constituant le V lingual) et foliées (à la région postérieure des bords latéraux linguaux). La muqueuse de la face ventrale est lisse sans papille. L'innervation motrice est assurée par le nerf grand hypoglosse. L'innervation sensitive dépend de trois nerfs : le lingual, branche du trijumeau pour la partie située en avant du V lingual, le glossopharyngien pour la partie postérieure et le nerf laryngé postérieur, branche du pneumogastrique pour une petite zone postérieure médiane.
Il existe certaines anomalies linguales « physiologiques » qu'il faut savoir reconnaître et ne pas traiter. On y rattachera l'entité des glossodynies ou langues douloureuses dont la pauvreté étiopathogénique et clinique trouble souvent la conduite thérapeutique.
Chez d'autres patients, la découverte d'une anomalie linguale « congénitale », soit malformative soit tumorale, impose la réalisation d'un bilan complet à la recherche d'autres anomalies : l'ensemble peut définir une pathologie ou un syndrome plus complexe, dont le traitement est spécifique.
Les états dits physiologiques.
- L'ankyloglossie est une anomalie congénitale qui correspond à une limitation de la protraction linguale du fait d'un raccourcissement du frein de langue. Elle nécessite une section voire une plastie d'allongement le plus souvent réalisable sous anesthésie locale.
- La langue festonnée correspond à une simple empreinte du relief des dents sur les bords de la langue du fait d'une macroglossie congénitale ou acquise (hypothyroïdie, amylose) venant rencontrer l'arcade dentaire adjacente. L'anomalie rétrocède avec le traitement de la cause.
- La langue « chargée » ou saburrale est volontiers associée aux états fébriles, aux états de déshydratation et à la diminution des prises alimentaires. Ces états entraînent une prolifération des papilles filiformes kératinisées et des cellules desquamantes superficielles par baisse du brassage mécanique alimentaire. Elle est rapidement réversible avec l'arrêt du trouble favorisant.
- Dans le cadre des xérostomies physiologiques du vieillissement (ou parfois médicamenteuses ou postradiques), la langue lisse, dépapillée et parfois douloureuse est soulagée par une hydratation régulière et la prescription de sialogogues et de salive artificielle.
- La langue villeuse, chevelue ou langue noire n'est pas une langue candidosique pathologique, et ne doit plus être traitée comme telle. Elle est due à une hypertrophie des papilles filiformes linguales par diminution de la desquamation normale du dos de la langue. Sa couleur est variable allant du blanc au noir, voire une autre couleur en fonction des chromogènes bactériens commensaux et des colorants alimentaires. La présence de Candida albicans est fortuite et négligeable. Des brossages du dos de la langue favorisant la desquamation suffisent à traiter les cas modérés. Un traitement kératolytique par vitamine A acide (Locacid) est conseillé dans les formes sévères. Parallèlement, l'arrêt du tabac et des colorants alimentaires s'impose tout autant.
- Les hyperplasies des papilles foliées et des amygdales linguales existent en cas d'irritation mécanique ou inflammatoire par infection des voies aérodigestives supérieures. Provoquant douleurs et dysphagie, ce tableau alimente les cancérophobies qui devront être maîtrisées. Le traitement classique de l'irritation aérodigestive causale normalise le tableau.
Fréquentes chez le sujet âgé, les langues variqueuses sont dues à des varices sublinguales parfois volumineuses et étalées à la face ventrale de la langue de chaque côté du frein. Une fois rassuré, le patient ne nécessitera aucun traitement.
Glossodynies.
Elles constituent une pathologie fréquente se traduisant par des douleurs de langue et de la cavité buccale sans que l'on puisse retrouver de lésion à l'origine de ces douleurs.
Les douleurs ont un caractère particulier : le patient les assimile à des brûlures, une sensation de xérostomie ou encore une sensation de modification de la structure muqueuse buccale.
La chronologie en est souvent particulière avec un paroxysme en fin de journée, pouvant empêcher le patient de s'endormir mais elles ne l'empêchent ni de dormir ni de manger.
Les patients sont souvent des femmes autour de soixante ans, cancérophobes, ayant déjà consulté de nombreux praticiens.
Il est à présent admis que les glossodynies font partie des dépressions masquées. Il s'instaure un cercle vicieux autoentretenu entre la douleur et la dépression. Le traitement sera conduit par des spécialistes et consistera en une information pédagogique du patient, un traitement antidépresseur sérotoninergique, un traitement comportemental et cognitif et des techniques de relaxation.
Anomalies et malformations congénitales.
Extrêmement variées, elles peuvent constituer des entités isolées.
- La glossite exfoliatrice marginée ou langue géographique est une pathologie bénigne de cause inconnue mais probablement constitutionnelle familiale transmise sur un mode dominant irrégulier. Elle se caractérise par des plages de muqueuse dépapillée, de contour circiné, cernées d'un liseré blanchâtre débutant sur les bords latéraux. Elle ne nécessite aucun traitement : il faut rassurer le patient. Elle peut être associée au psoriasis, et à ce titre, certains la considèrent comme une manifestation orale du psoriasis.
- La langue plicaturée ou langue cérébriforme ou scrotale parcourue par des sillons plus ou moins profonds reste de cause inconnue probablement constitutionnelle qui ne nécessite, là encore aucun traitement. Elle est fréquente chez les patients trisomiques 21 et peut entrer dans le cadre d'un syndrome de Melkersson-Rosenthal (association d'une paralysie faciale périphérique, d'une macrochéilie et d'une langue plicaturée). Cette pathologie bénigne n'a pas d'autre traitement que l'hygiène de la langue.
Les anomalies linguales peuvent aussi être associées à d'autres signes et entrer alors dans le cadre d'un syndrome malformatif congénital.
- Il faut ainsi savoir détecter les langues bifides, les fentes linguales ou les ankyloglossies isolées ou s'intégrant à la trisomie 13, le syndrome oromandibulaire ou oro-digito-facial de Mohr.
- On retrouvera des macroglossies dans le syndrome de Wiedemann-Beckwith (macroglossie et omphalocèle), l'hypertrophie hémifaciale, l'hypothyroïdisme congénital, les mucopolysaccharidoses, les mucoliposes et certaines anomalies chromosomiques (dont la triploïdie et la trisomie 21). Pouvant avoir des répercussions sur la croissance mandibulaire, ces macroglossies obligent à des glossectomies partielles de réduction.
- Les microglossies allant parfois jusqu'aux aglossies font partie du syndrome de Freeman-Sheldon (du siffleur), du syndrome oromandibulaire et du syndrome de Moebius (paralysie des VIe et VIIe paires crâniennes). Elles nécessiteront une prise en charge kinésithérapeutique spécialisée maxillo-faciale et orthophonique adaptée.
Elles peuvent par ailleurs correspondre aux nodules des phacomatoses (neurofibromatose de Von Recklinghausen, angiomatose encéphalotrigéminée de Sturge-Weber, sclérose tubéreuse de Bourneville), ou aux kystes du tractus thyréoglosse (kyste du foramen caecum à la pointe du V lingual). Dès lors que le volume et la localisation de la tumeur sont accessibles à une exérèse, on privilégie la solution chirurgicale, suivie d'une surveillance régulière. Le prélèvement permet par ailleurs une étude anatomopathologique pointue associée à un typage spécifique pour les phacomatoses.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature