La loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat

La laïcisation des hôpitaux a pris un siècle et demi

Publié le 05/12/2005
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PARIS, 15 janvier 1908. Par un froid matin d'hiver, les dames augustines, expulsées, quittent en omnibus l'Hôtel-Dieu où elles travaillaient depuis treize siècles. Des centaines de milliers de Parisiens sont venus leur rendre hommage dans un vibrant cortège.
Cette scène mémorable et fortement médiatisée à l'époque n'est pourtant pas vraiment représentative de ce qui s'est passé après 1905 dans les hôpitaux français, où la laïcisation s'est effectuée le plus souvent en douceur. Une enquête nationale publiée par les Prs Yves Baille et Henri Ruf dans le dernier numéro de la revue de la Société française d'histoire des hôpitaux*, et portant sur les réponses de 220 hôpitaux dans 150 villes, montre que les dates des décisions de laïcisation prises par les commissions administratives s'étendent de 1840 à 1996... C'est donc très progressivement qu'au modèle dominant d'un établissement municipal desservi par une congrégation religieuse va se substituer celui de l'hôpital laïc.

Les religieuses coûtent moins cher.
Les premières tentatives de laïcisation remontent à la tourmente révolutionnaire. Sans succès, puisque la présence des sœurs s'est révélée indispensable. Lorsqu'un siècle plus tard, les préfets enjoignent les hôpitaux de rompre leurs conventions avec les ordres hospitaliers, les conseils d'administration freinent des quatre fers pour des raisons tout aussi pragmatiques, qui sont résumées par le maire de Besançon dans une délibération du 24 août 1907 :
1- la difficulté de recrutement du personnel ;
2- la dépense considérable devant en résulter, en raison de la non-rémunération du personnel congréganiste (...) ;
3- le service dévoué fourni par le personnel actuel ;
4- le très petit nombre d'élèves laïques ayant suivi jusque-là l'école ;
5- la révocation de fondations importantes (...).
De fait, les religieuses ne coûtent pas cher. Nourries et logées à l'hôpital, elles ne reçoivent pour tout traitement qu'une indemnité de vestiaire. Les exemples abondent concernant ces considérations financières. Un récent colloque à Bobigny** en a cité plusieurs.
Quand l'asile d'aliénés de Prémontré (Aisne) débat de la laïcisation, les comptes sont vite faits : les sœurs (de la Charité de La Roche-sur-Foron) reviennent à 50 000 francs par an et il faudrait en débourser 15 000 de plus pour des laïcs mal payés. Et on garde les sœurs. Bien plus, les directeurs successifs se plaignent sans cesse auprès de la supérieure : « Envoyez-nous des sœurs. »
Après les lois de 1936, l'attrait des religieuses, qui ne bénéficient d'aucun avantage social, grandit encore... En 1948, une infirmière coûte de 125 000 à 218 000 francs par an, une religieuse 74 000. Lorsque les sœurs se retirent de l'asile en 1957 en raison de la diminution des vocations, « le Dauphiné libéré » titre : « 50 millions de dépenses supplémentaires pour le département ». L'argument financier sera aussi maintes fois avancé à Lille, où, malgré les tentatives de certains membres du conseil municipal, qui les accusent de « propagande antirépublicaine », les religieuses seront peu inquiétées. En 1910, les administrateurs chiffrent à 36 % l'augmentation de coût liée au remplacement des religieuses et craignent l'arrêt des donations faites aux congrégations. On peut de même se demander si les Hospices civils de Lyon ne sont pas présentés dans les années 1930 comme un modèle de gestion, en raison des économies réalisées grâce à un personnel resté religieux à 70 %. Le maire radical Edouard Herriot n'hésite d'ailleurs pas à monter en première ligne pour réclamer une chapelle pour les sœurs lorsqu'un nouvel hôpital se construit.
Autre argument de poids : le dévouement des sœurs. La population, dans son ensemble, aime les sœurs et il est à noter que la caricature anticléricale souvent féroce ne se fit jamais la dent sur les religieuses hospitalières. «On ne saurait se rapporter à du personnel mercenaire », entend-on un peu partout. « Le service est des plus ingrats et aucune servante laïque ne peut y rester », constate un administrateur des hospices de Lille.
Chez les médecins, les avis sont plus contrastés. En dehors des libres penseurs que tout signe religieux indispose, nombre d'entre eux apprécient le dévouement des sœurs et les marques de respect dont elles entourent le corps médical. Mais avec la professionnalisation croissante de la médecine, à la fin du XIXe siècle, des conflits éclatent parfois, lorsque les sœurs obéissent d'abord aux consignes de leur supérieure. Les religieuses, elles aussi, auront à accomplir leur mutation.

Laïcisation à marche forcée.
Dans plusieurs grandes villes, les considérations idéologiques vont néanmoins l'emporter sur les raisons économiques. A Paris, une figure de proue de la laïcisation se dresse en la personne du Dr Désiré M. Bourneville, neurologue à Bicêtre, animateur du journal « le Progrès médical », élu député de Paris en 1873. Il multiplie les déclarations à l'encontre des religieuses : « L'Etat qui est laïc a le devoir de se priver du concours d'auxiliaires qui, par leurs vœux, se placent en opposition directe avec les lois de la nature et les intérêts de la société. » Les hôpitaux parisiens abritent alors sept congrégations qui ont conclu des « traités » avec l'Assistance publique (AP).
Des médecins tentent de réagir comme le Dr Armand Desprès, républicain et chirurgien à l'hôpital de la Charité, qui dénonce les motifs politiques qui vont priver les hôpitaux d'un personnel compétent. Pour lui, une laïque même formée ne pourra égaler les religieuses, car elle aura à s'occuper aussi de sa famille. Des malades signent des pétitions.
Mais le processus de laïcisation voulu par le conseil municipal et soutenu à partir de 1880 par le directeur de l'AP, Charles Quentin, ami de Gambetta, apparaît inexorable : les religieuses sont renvoyées de l'hôpital Laennec en 1878, de Saint-Antoine et de l'hospice de La Rochefoucauld en 1881, de Tenon en 1882, des Incurables et de Cochin en 1885, etc. Les augustines de l'Hôtel-Dieu, présentes depuis le VIIe siècle, résisteront jusqu'en 1908.
A Marseille, hommes politiques, médecins, religieuses et malades vont batailler pendant un quart de siècle (1886-1910). La société médico-chirurgicale prend la défense des religieuses tandis que la commission administrative critique leur prosélytisme. La polémique atteint son paroxysme sous la présidence d'Emile Combes (1902-1903) et les hôpitaux sont laïcisés en janvier 1904, tous les emblèmes religieux étant enlevés des établissements. Les augustines, qui vivaient et mouraient dans les hôpitaux marseillais, doivent partir.
Ailleurs, la laïcisation sera plus progressive et pragmatique. En 1925, les Hospices civils de Toulouse ne comptent que neuf infirmières laïques pour 53 Filles de la Charité (sœurs de Saint-Vincent-de-Paul). En 1945, le nouvel hôpital Purpan englobe une chapelle et un bâtiment réservé à la communauté. Les sœurs quitteront Purpan en 1964 et La Grave en 1984.
A Strasbourg, le droit local permettra aux sœurs de la Charité d'œuvrer aux Hospices civils comme par le passé. Elles ne s'en retireront que dans les années 1990, en raison de la crise des vocations. A Lille, les francs-maçons, peu nombreux et contestés, n'auront pas raison d'une population (et surtout d'une bourgeoisie) majoritairement catholique et pratiquante. La laïcisation ne se réalisera qu'après 1945. Et les augustines se maintiendront en place. En 1971, elles sont encore 75 à Lille et Seclin (dont 33 au Chru).
Les religieuses de Saint-Thomas sont restées à l'hôpital d'Aix jusqu'à aujourd'hui, même si elles ne sont plus que deux en service. A Lyon, la laïcisation des Hospices civils ne concernera longtemps que les bâtiments.
Il arrive aussi que des clauses particulières obligent les administrations à conserver les sœurs. A Paris, ce fut le cas des augustines de la fondation Alquier-Delbrousse ou de l'hôpital Boucicaut en raison du testament de sa fondatrice, Marguerite Guérin, épouse du créateur du Bon Marché. A Marseille, la commission, quoique anticléricale, dut accepter l'introduction des religieuses dans un nouvel hôpital pour ne pas se priver du legs providentiel de Louis Salvador : plus de 5 millions de francs or.

La réaction.
Face à la laïcité militante, les institutions religieuses (et pas seulement catholiques) ne restent pas sans voix. Les augustines chassées de l'Hôtel-Dieu parisien s'installent dans le nouvel hôpital Notre-Dame-du-Bon-Secours. Des donations importantes vont en effet permettre l'éclosion, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, de nombreux hôpitaux privés : Saint-Joseph, Saint-Michel, Péan, Saint-Jacques, les Diaconesses, Rothschild à Paris, la fondation Isaac-Pereire et le Perpétuel-Secours à Levallois-Perret, Saint-Luc et Saint-Joseph à Marseille, etc.
L'exemple de l'hôpital Saint-Joseph à Paris est intéressant, note Jacqueline Lalouette (université Paris-XIII), car il devait être le préalable à la création d'une faculté de médecine libre qui ne vit jamais le jour (un tel projet ne sera réalisé qu'à Lille). C'était une réponse à la loi du 12 juillet 1875 sur la liberté de l'enseignement supérieur. Mais la laïcisation de Laennec en 1878 fait pressentir un autre danger. S'appuyant sur l'œuvre de Notre-Dame-de-Consolation, composée de 116 dames patronnesses qui le prennent en charge et sur les Filles de la Charité, pour son fonctionnement, l'hôpital est inauguré en 1885. « En 1886, à quatre exceptions près, souligne le premier rapport de l'Œuvre, tous les malades décédés se sont confessés et ont reçu la communion. » Le 3 novembre 1976, Saint-Joseph deviendra Psph (participant au service public hospitalier).
Aujourd'hui, il n'y a plus ou presque plus de religieuses dans les hôpitaux français. Mais elles continuent à faire référence. « L'ombre des religieuses plana longtemps à l'Assistance publique car c'est bien leur image qui s'imposa comme modèle à des générations d'infirmières », écrit Anne Nardin , conservateur du musée de l'AP-HP. Même si le passé est convoqué pour être réfuté, explique Christian Chevandier (université Paris-I), l'image est toujours présente lorsque des infirmières manifestent derrière le slogan :
« Ni nonne, ni bonne, ni conne. »

* « La laïcisation et les hôpitaux. La loi du 9 décembre 1905, bilan d'un siècle », « Revue de la Société française d'histoire des hôpitaux », n° 119
(Sfhp, fax 04.72.41.31.54).
** Colloque L'hôpital entre religions et laïcité, organisé par l'université Paris-XIII, la Maison des sciences de l'homme Paris Nord et l'AP-HP, les 24 et 25 novembre à Bobigny.

Les débuts des écoles d'infirmières

C'est en 1899 qu'une circulaire prescrit aux préfets de demander « le concours des municipalités et administrations hospitalières, en vue d'ouvrir des écoles d'infirmières et d'infirmiers qui seraient invitées à se conformer au programme d'enseignement prévu ». La circulaire Combes de 1902 précise la nécessité de ne confier les malades qu'aux infirmières formées pour cela.
Certaines villes ont précédé cette initiative. Paris ouvre une école municipale dès 1878, Reims en 1885, Montpellier en 1899. Néanmoins, à Paris, la première école date de 1907 à la Salpêtrière. Peu à peu, il y en aura dans toutes les grandes villes avec des fortunes diverses.
Le recrutement est difficile. La profession est mal payée et mal considérée. Aussi, les sœurs en sont souvent les premières élèves (à Toulouse, lors de l'ouverture de l'école, sur 20 élèves, 19 sont religieuses), quand elles n'en assurent pas la direction. A Avignon, Saint-Brieuc, Nancy, par exemple, l'encadrement reste religieux jusque dans les années 1960. En revanche, à Langres, les sœurs sont interdites d'enseignement en 1905.
D'une façon générale, l'Eglise, consciente de l'évolution des hôpitaux, s'est préoccupée de la formation des sœurs. A la veille de la Grande Guerre, 40 % du personnel hospitalier est encore religieux (mais 0,5 % à l'AP de Paris). Cette période de guerre va d'ailleurs magnifier l'image de l'infirmière toujours dévouée, dont le statut professionnel s'affirme avec la création du brevet d'infirmière en 1922.

La loi de 1905 et les hôpitaux

En organisant les nouveaux rapports entre l'Etat et les religions, la loi du 9 décembre 1905, dite de séparation de l'Eglise et de l'Etat, va accélérer le processus de laïcisation des hôpitaux, pour lequel, contrairement aux établissements d'enseignement, il n'y a pas eu de loi de laïcisation. Lorsque la laïcisation est décidée, elle comprend l'exclusion des religieux des instances de direction, la suppression des croix dans les salles de malades ou sur les corbillards des hospices, la suppression du logement des ministres des cultes, etc.
En revanche, la loi de 1905 provoque, en l'organisant -  « Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons » -, le retour de l'aumônier à l'hôpital, dont prêtre, rabbin et pasteur s'étaient souvent trouvé expulsés quelques années auparavant, au grand dam des malades. Dans ce nouveau cadre, l'extrême-onction pratiquée par les catholiques devient tributaire du carnet à souches délivré par l'administration.

> MARIE-FRANÇOISE DE PANGE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7857