Des recours aquitains après le scrutin des Urml

La justice traque les mystérieux électeurs fantômes du Béarn

Publié le 26/06/2006
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LORS DE L’ÉLECTION (par correspondance) des membres de l’union régionale des médecins libéraux d’Aquitaine, des spécialistes ont voté – leurs bulletins étaient dans les urnes – qui... n’avaient pas voté – ils ont affirmé avoir d’autant moins envoyé leur enveloppe qu’ils n’avaient jamais reçu leur matériel de vote. Mystère. Illusionnisme.

Retour en arrière, vendredi 2 juin, à la préfecture, à Bordeaux. Le dépouillement vient de commencer quand la commission de recensement des votes (1) réceptionne les attestations de huit médecins d’une clinique de Pau affirmant leur incapacité à voter faute du matériel idoine. La très officielle commission se rend immédiatement à la table de dépouillement des médecins spécialistes de la circonscription de Béarn et Soule, et saisit six enveloppes qui portent le nom et la signature de non-électeurs déclarés ; elle découvre que deux autres ont déjà été ouvertes. Voilà 8 bulletins sur 3 379 reçus en Aquitaine (470 en Béarn et Soule) qui font tache.

C’est plus qu’un soupçon de fraude électorale qui concerne le scrutin. Inquiets, certains candidats mènent leur petite enquête. De confrère à confrère, on a vite fait de discuter et d’estimer que la « magouille » a sans doute dépassé les murs d’une seule clinique paloise. D’autres médecins assurent n’avoir jamais reçu leur matériel de vote... Les doutes concernent principalement les électeurs spécialistes béarnais.

Trois syndicats décident de tirer l’affaire au clair : MG-France, les collèges généralistes et spécialistes de la FMF (Fédération des médecins de France) et de la Csmf (Confédération des syndicats médicaux français) déposent chacun des recours devant le tribunal de grande instance de Bordeaux qui a jusqu’au 12 juillet pour enquêter – ce qui passe par des études graphologiques des signatures douteuses – et se prononcer. Le juge convoque aujourd’hui toutes les têtes de liste au tribunal.

Cas de conscience.

L’Aquitaine est la seule région où l’élection aux Urml a donné lieu à des recours – ceux-ci étaient juridiquement recevables pendant dix jours après la proclamation des résultats, c’est-à-dire jusqu’au 12 juin.

«A partir du moment où il y a eu saisie d’enveloppes sur table, il était difficile de passer outre. Nous avons fait ce que nous devions», résume le Dr Philippe Arramon-Tucoo, chef de file des spécialistes confédérés de l’Aquitaine. «Tous les recours n’aboutiront peut-être pas, précise le Dr Jean-Claude Labadie, qui emmenait aux élections les spécialistes de la FMF. Il est possible, par exemple, qu’il n’y ait pas de problème du côté des généralistes, mais ils ont été faits à titre conservatoire.» Le Dr Kamel Hamtat, tête de liste (béarnais) de la FMF-G, est plus remonté : «La fraude manifeste suffit à ce que la justice soit saisie et interrogée. Les élections sont faussées. Les coordinés du Béarn, qui ont rejoint la FMF, sont arrivés en tête des élections dans le département [voir encadré] . Ce résultat est le fruit d’un travail de terrain et de vérité. En déposant un recours, nous n’avons rien à gagner sauf une chose: pouvoir nous regarder dans la glace. Si nous sommes entrés dans un syndicat, ce n’est pas pour abandonner notre esprit de coordinés. Et si nous nous sommes présentés à l’Urml, c’est pour faire un travail au sein de cette union. Mais pas sur des bases frauduleuses.»

A la tête des généralistes SML de l’Aquitaine, le Dr Christian Le Corre est «abasourdi», mais a choisi, lui, de ne pas déposer de recours, regardant l’affaire comme «une histoire abracadabrantesque en Béarn», évoquant «un pataquès entre gynécologues et radiologues de Pau». Le Dr Le Corre regrette ce «coup dur pour l’Aquitaine».

Quant au président (Csmf) sortant de l’union, le Dr Nicolas Brugère, il temporise : «Le problème est posé, il appartient maintenant à la justice de faire son travail.» Jusqu’où peut-elle aller ? Une fois la fraude constatée, recherchera-t-elle le ou les coupable(s) qui, s’il se confirme qu’ils ont fait des faux en signature, relèveront alors du pénal ? Annulera-t-elle les élections chez les seuls spécialistes de Pau, dans la seule circonscription de Béarn et Soule, dans le département des Pyrénées-Atlantiques tout entier, dans toute l’Aquitaine ?

Réponse dans dix-sept jours au plus tard. Dans l’intervalle, l’union se passera de nouveau bureau. Sur proposition de ses membres FMF et MG-France, son assemblée a en effet décidé à une large majorité d’en remettre l’élection à une date ultérieure.

(1) Cette commission est composée d’un représentant du préfet de région, d’un représentant de la Drass, du directeur de la poste de la Gironde et de quatre représentants des médecins (deux généralistes et deux spécialistes).

Les résultats

En Aquitaine, après les élections du 2 juin, MG-France et la Csmf sont au coude-à-coude dans le collège des généralistes avec (10 sièges chacun), le premier (33,5 % des voix) devançant légèrement la seconde (31,3 %). Suivent la FMF (18,2 % des voix, 5 sièges) et le SML (16,8 %, 5 sièges) ; du côté des spécialistes, la Csmf est en tête (39,1 % et 12 sièges), suivie par le SML (25,2 % et 8 sièges), la FMF (23,3 % et 7 sièges) et l’Uccmsf (12,4 % et 3 sièges).

Dans la circonscription de Béarn et Soule, on constate des taux record de participation (près de 60 % chez les généralistes, plus de 70 % chez les spécialistes). Du côté des omnipraticiens, la FMF caracole en tête avec 42 % des suffrages, talonnée par MG-France (37 %). Loin derrière : le SML (9 %) et la Csmf (8 %). Dans le camp des spécialistes béarnais, c’est le SML qui rafle la mise (57 %), distançant la Csmf (16 %), la FMF (14 %) et l’Uccmsf (9 %).

> KARINE PIGANEAU

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7987