C'EST EN TOUTE sérénité que s'est déroulée pendant dix heures, le mercredi 30 novembre, l'opération de Nicolas, 6 ans, atteint d'un cancer. Cette intervention, jugée utile, dans un cadre palliatif, par l'équipe médicale entourant le spécialiste de chirurgie faciale du centre régional de lutte contre le cancer Antoine-Lacassagne, à Nice, a eu lieu conformément à l'attente de la mère et du père du jeune cancéreux.
L'enfant présentait une tumeur évolutive à la mâchoire. Les parents ont saisi, le 29 novembre, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, dans l'espoir qu'il ordonnât immédiatement une opération chirurgicale. « Nicolas a une espérance de vie très réduite, et l'opération a pour objectif de rendre moins insupportable la période qu'il lui reste à vivre. » Du point de vue de la famille, les spécialistes niçois auxquels Nicolas a été confié pour que soit réalisée l'intervention, « difficile et exceptionnelle », selon l'expression du Pr Jean-Pierre Gérard, directeur du centre Antoine-Lacassagne, retardaient l'échéance, ce qui prolongeait la souffrance de leur fils. En fait, les médecins, initialement « favorables » à l'opération, prenaient en compte dans leur réflexion des avis contraires au leur, avant de trancher.
Quoi qu'il en soit, la justice a déclaré, en son âme et conscience, irrecevable la demande qui lui était faite (« le Quotidien » du 1er décembre). Le même jour, quelques heures plus tard, le centre André-Lacassagne annonçait qu'il était prêt à passer à l'acte, disposant de tous les éléments pour prendre la « décision concertée d'opérer le plus rapidement possible », notamment en accord avec le CHU de Nice.
Une mise en cause de la judiciarisation.
« L'ordonnance de référé du 29 novembre est une avancée spectaculaire, commente pour "le Quotidien" Emmanuel Hirsch, directeur de l'Espace éthique des hôpitaux de l'Assistance publique de Paris. Elle met en cause la judiciarisation de la pratique médicale, en remédicalisant le colloque singulier dans l'esprit du code de déontologie. » « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions, qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance, stipule l'article 8 du code . Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins. Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »« C'est avec pertinence » que la magistrate en charge de l'affaire, Florence Lagémi, « a répondu aux parents que la cour n'était pas habilitée à intervenir dans un domaine relevant de la compétence du corps médical », souligne, pour sa part, le président du Conseil national de l'Ordre.
Mais comment expliquer l'initiative des parents de Nicolas ? La loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, « en renforçant l'autonomie du patient », peut prêter à une judiciarisation de l'acte médical, en raison d'une mauvaise interprétation de son esprit, qui, pourtant, appelle à dénouer toute situation à problème par la médiation et le dialogue, explique en substance Emmanuel Hirsch.
Une approche éthique et pleine d'humanité.
Quant à l'attitude des médecins du petit Nicolas, « d'un bout à l'autre, ils ont agi avec beaucoup de conscience et de discernement », relève le Pr Jacques Rolland, responsable ordinal. Depuis la démarche du Dr Nicole Delépine, de l'hôpital Avicenne, à Bobigny (Seine-Saint-Denis), cancérologue de Nicolas, qui a consisté à solliciter le centre niçois, jusqu'à la décision finale, « tout s'est déroulé dans les règles de l'art ». « Dès la première heure, le chirurgien s'est dit d'accord, jugeant l'intervention utile et possible dans des conditions techniques satisfaisantes, après discussion avec ses confrères, anesthésiste et cancérologue. »
« Tous, poursuit le président de l'Ordre, adhéraient à cette idée d'agir dans un cadre palliatif, et non pas curatif. A partir de là, des avis différents d'oncologues consultés ont provoqué des hésitations. Le chirurgien s'est posé la question : "Est-ce que fais bien d'opérer ? Je ne veux pas prendre une décision seul. Je veux être sûr de ne pas provoquer d'ennuis et de ne pas être éclaboussé par des complications." Des doutes tout à fait légitimes. C'est quotidien, chez des confrères exposés à des situations aussi difficiles. Et, au final, je crois que le chirurgien de Nicolas a fait preuve d'une excellente approche éthique et d'une grande humanité. »
L'article 38 du code de déontologie revu.
Sans parler d'une explosion de la judiciarisation de la relation médecin-malade, le Pr Jacques Rolland constate qu' « il y a un peu plus d'actions en justice, globalement ». Mais l'affaire Nicolas « est un cas d'école » et devrait le rester, d'autant que le code de déontologie apporte une réponse ad hoc à la question des traitements compassionnels. « En toute circonstance, le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances de son malade, l'assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutiques », rapporte le responsable ordinal en citant l'article 37.
Ainsi, insiste-t-il, « l'opération du jeune Nicolas ne peut se comprendre que comme faisant partie du devoir du médecin. Elle est en conformité avec les principes éthiques et la déontologie. Le praticien doit satisfaire à toute situation où il peut améliorer le confort de vie de ses patients ».
Me Emmanuel Ludot, avocat de la famille de Nicolas, ne déposera pas plainte contre X pour non-assistance à personne en danger, comme cela avait été envisagé au cas où.
Pour le philosophe Emmanuel Hirsch, il est opportun, malgré tout, de porter une réflexion sur les radiothérapies, chimiothérapies et autres traitements de nature compassionnelle. « Au nom de quoi justifier une intervention compassionnelle, y compris lorsqu'il existe un risque d'abréger la vie, dès lors qu'il y a des douleurs inacceptables et indignes, et au nom de quoi la refuser ? » demande le professeur d'éthique à Paris-Sud. Il souligne la réserve déontologique dont est porteur l'article 37 (« éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique »). Cette interrogation est d'autant plus justifiée qu' « on se trouve dans l'éthique du moindre mal ». Dans l'affaire Nicolas, « les divergences entre les équipes médicales ont témoigné d'un vide » déontologique. « Les médecins attendent des réponses », estiment Emmanuel Hirsch, et elles devraient leur être fournies avec les futurs décrets d'application de la loi sur la fin de vie du 22 mars 2005, porteurs notamment d'une réforme attendue de l'article 38 du code de déontologie, dont la copie est déjà prête. En attendant, cet article prévoit que « le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d'une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort ».
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