Les acquittements au procès d'Outreau

La justice plaide coupable

Publié le 05/12/2005
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AUTANT LA DESCENTE AUX ENFERS des innocents d'Outreau a été longue et cruelle, autant la contrition de la justice et de l'Etat a été profonde et, d'une certaine manière, désespérée : on trouve dans la vigueur des décisions du gouvernement et dans les propos des ministres la reconnaissance implicite que le mal qui a été commis est irrémédiable.
Les Français n'en attendaient pas moins de leurs institutions. Car il y a pire que de ne pas châtier un coupable, c'est condamner un innocent. Erreur judiciaire ? Certes. Mais qui résulte d'informations qu'un petit journaleux employé par une feuille de chou aurait pris le soin de vérifier. Personnage central - et sulfureux - de l'affaire, Myriam Badaoui, de qui n'importe quel spectateur neutre a pu voir le comportement mensonger et mythomaniaque à l'audience, a servi d'arme absolue au juge Fabrice Burgaud.
M. Burgaud n'est pas, en revanche, responsable des faux témoignages des enfants. Il s'est produit une cascade d'événements qui ont tous conflué pour établir un dossier à charge contre des personnes dont le seul tort aura consisté à se trouver dans le voisinage de Mme Badaoui.
Ce qui est grave, ce n'est pas seulement que le juge d'instruction ait cru un peu vite qu'il était tombé sur « l'affaire du siècle », comme il a cru bon de le dire à l'une de ses victimes ; c'est aussi que sa hiérarchie n'a jamais contesté ses méthodes, ni vérifié ses résultats, ni ordonné une contre-enquête. A des hommes et des femmes blancs comme neige, qui se situent aux antipodes de la pédophilie, on a donc fait subir un calvaire dont ils ne se relèveront pas vraiment.

IL Y A PIRE QU'INNOCENTER UN COUPABLE : C'EST CONDAMNER UN INNOCENT

Une réaction à la mesure de l'outrage.
Car avec quoi l'Etat et la justice vont-ils compenser trois années de détention préventive, effacer l'abjection indicible à laquelle des malheureux ont été associés, comment vont-ils les aider à retrouver une vie normale, comment les acquittés pourront-ils retourner dans leur ville (s'ils le souhaitent) ou se refaire ailleurs un autre avenir ?
Les gestes de la justice, il faut le dire, auront été convaincants. Un avocat général prononce une plaidoirie au lieu d'un réquisitoire, une défense renonce à plaider, un ministre de la Justice et un Premier ministre interviennent pour annoncer une enquête sur le déroulement de faits qui conduisent à l'aberration judiciaire du siècle : les réactions des institutions ont été à la hauteur de l'outrage commis contre les accusés.
Et nous sommes tous concernés. Car, si nous ne pouvons pas avoir confiance dans la justice, nous pouvons trembler pour notre propre sort : vous retrouver en prison parce qu'un délateur pervers a prononcé votre nom est un sort funeste. En d'autres termes, soixante millions de Français souhaitaient s'assurer qu'ils ne risqueraient plus de devenir les cibles potentielles d'une justice aveugle.
C'est pourquoi le gouvernement devait envoyer au public un signal sans ambiguité. Et n'a pu le faire que parce qu'il a mis fin à l'infaillibilité des juges : appliquer les lois ne les place plus au-dessus des lois. Désormais, ils devront rendre compte des décisions qu'ils prennent.
Inversement, ce nouveau statut de la Justice ne risque-t-il pas de jouer contre elle ? Ce n'est pas impossible, mais maintenir le pouvoir absolu des juges sur ceux qui ont maille à partir avec la loi aurait été scandaleux après Outreau. Ancienne ministre de la Justice, Elizabeth Guigou propose une réforme de l'instruction. Est-ce bien nécessaire ? N'y a-t-il pas contrôle du substitut par le procureur ? N'y a-t-il pas des réunions de juges pour réviser les affaires en cours et s'assurer que les informations ont été vérifiées ? En outre, quand des hommes et des femmes au passé immaculé hurlent leur innocence du fond de leur cachot, n'y a-t-il pas là de quoi alerter l'esprit le plus serein ? On n'est jamais obligé de croire aux protestations d'innocence, mais on peut toujours se demander si une sincérité apparente n'est pas troublante et aller voir un peu plus loin.
Enfin, se pose la question lancinante de la détention préventive : l'argent ne paie jamais des années d'emprisonnement injuste. Il faut donc éviter à tout prix que l'erreur judiciaire commence pendant l'instruction et faire en sorte que la détention provisoire ne soit prononcée que si le juge dispose de preuves accablantes. Ce n'était pas le cas à Outreau ; et si le juge d'instruction avait été moins sûr de lui, il n'aurait pas à vivre le restant de ses jours avec un poids sur la conscience.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7857