LA JUGE D'INSTRUCTION parisienne Marie-Odile Bertella-Geffroy a fait savoir aux parties concernées par l'affaire de l'hormone de croissance contaminée qu'elle avait fini ses investigations (art.175 du code de procédure pénal). Cette information a été reçue le 7 septembre par les personnes poursuivies et leurs avocats et les parties civiles, en même temps qu'un courrier de la magistrate faisant état de trois dernières expertises versées au dossier. Ces expertises confirment l'hétérogénéité des lots d'hormones de croissance utilisés pendant la période critique, et leur qualité douteuse par rapport à celle qui était fabriquée dans des laboratoires étrangers. Elles justifieraient les charges d'homicide involontaire et de tromperie aggravée retenues par la juge.
Ces notifications concomitantes ouvrent un délai de vingt jours durant lequel les parties ont la possibilité de formuler de nouvelles demandes d'actes et des contre-expertises. En conséquence, le point final de l'enquête, qui s'est déroulée sur treize années et demie - ce qui se traduit par 62 tomes d'instruction -, sera suivi vraisemblablement de points de suspension. Il y a fort à parier que la chambre de l'instruction sera saisie pour examiner la validité des demandes de certaines parties qui ne manqueront pas de s'opposer aux conclusions de la juge. La chambre de l'instruction décidera, au bout de quelques mois, s'il y a lieu de continuer à instruire ou s'il faut s'en tenir à la position de Marie-Odile Bertella-Geffroy. Entre-temps, cette dernière aura communiqué son dossier au parquet, qui confirmera ou infirmera, en partie ou non, les charges pesant sur les 12 personnes mises en examen.
Homicide involontaire et tromperie aggravée.
A ce jour, 103 personnes sont mortes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) et trois l'ont développée, apparemment à la suite de la prise d'hormones contaminées. Un millier d'enfants, atteints de nanisme hypophysaire, ont été traités par de l'hormone de croissance prélevée sur des cadavres, entre 1982 et 1986, dans des lieux à risque, comme la morgue de l'hôpital Claude-Bernard (Paris), spécialisé dans les maladies infectieuses. En 1985, des scientifiques avaient fait état de contaminations par l'agent responsable de la MCJ liées à l'hormone de croissance. La France, contrairement à d'autres pays, dont les Etats-Unis, a alors continué la production d'hormones, en se contentant d'ajouter une étape de retraitement de l'urée, censée désactiver le virus. L'hormone française, extractive, était réalisée à l'Institut Pasteur, jusqu'à son remplacement par un produit de synthèse en 1988.
Les premières mises en examen dans cette instruction, ouverte le 24 décembre 1991 avec le décès du jeune Benziane, ont été prononcées pour « homicide involontaire », à partir de juillet 1993, sur la base d'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales qui parlait d'un « grave dysfonctionnement du dispositif français » dans la fabrication et la diffusion d'hormones de croissance entre 1982 et 1986. A l'été 2004, le parquet a délivré à la juge un réquisitoire supplétif l'autorisant à ajouter le délit de « tromperie aggravée sur les qualités substantielles d'un produit » (entériné par un décret de la cour d'appel de Paris en janvier 2005) à dix des douze personnes poursuivies, déjà sous le coup de l'homicide involontaire. La peine maximale encourue, pour mise en danger de la vie d'autrui, est de quatre ans de prison et de 74 000 euros d'amende. Cela permet de renforcer les chances d'un procès au correctionnel, qui devrait se dérouler dans le second semestre 2006.
Un médecin prescripteur et cinq praticiens collecteurs d'hypophyses poursuivis.
La qualification d'homicide involontaire, justifiée, selon Marie-Odile Bertella Geffroy, par les trois dernières expertises qu'elle a jointes à son dossier (voir plus haut), suppose un lien de causalité entre l'acte médical et le décès, lien que conteste la défense.
Les charges d'homicide involontaire et de tromperie aggravée concernent le Pr Jean-Claude Job, ancien président de France-Hypophyse, Marc Mollet et Henri Cerceau, de la Pharmacie centrale des hôpitaux (PCH) à l'époque des faits, cinq praticiens collecteurs de France-Hypophyse, ainsi que le Pr Fernand Dray, par ailleurs soupçonné d'avoir perçu des commissions ( « corruption passive et prise illégale d'intérêt »), et le Pr Jacques Dangoumau, qui occupa les fonctions de directeur de la pharmacie et du médicament au ministère de la Santé. Le Dr Micheline Gourmelin, médecin prescripteur, est poursuivie uniquement pour homicide involontaire, tandis que Michel Baur (PCH) est suspecté de « soustraction de preuves ».
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