Le jeudi 22 août, le centre hospitalier de Valenciennes (Nord) accueille en réanimation une jeune femme, Témoin de Jéhovah, transférée d'une maternité périphérique « à la suite des complications de son accouchement ». Elle présente « une situation médicale alarmante ». Le chef du service, le Dr Jean-Luc Chagnon, l' « informe de la nécessité de plus en plus urgente d'une transfusion sanguine ». Mais elle « refuse, conformément à ses convictions religieuses ». L'hôpital « applique la loi du 4 mars 2002 (relative aux droits des malades, qui fait obligation au praticien de convaincre le patient et non de faire pression sur lui, NDLRr)* , qu'il connaît parfaitement. Le Dr Chagnon respecte les volontés » de Mme X, « et utilise différentes alternatives thérapeutiques pour tempérer la situation. Cependant, son état s'aggrave malgré les traitements de substitution. Constatant le péril imminent, le praticien informe aussitôt les responsables de l'établissement et, ensemble, ils consultent diverses autorités extérieures, dont la justice. Au vu de l'urgence vitale, et ne pouvant s'appuyer sur aucune jurisprudence appliquant la loi du 4 mars, le Dr Chagnon et ses collègues prennent finalement la décision, en leur âme et conscience, d'aller à l'encontre de la volonté de la patiente. En dernier recours, ils effectuent la transfusion le vendredi 23 août, unique chance pour elle d'être sauvée. Leur position est loin d'être dogmatique, le cas présent posant la question de la conciliation entre deux principes : le respect du consentement du patient et la mission des hôpitaux de soigner au quotidien ».
Le lendemain, cette décision est portée devant le tribunal administratif de Lille par Me Frank Berton, selon la procédure de « référé liberté ». « Il y a eu entrave à une liberté constitutionnelle, issue de la loi du 4 mars (art. 1 111-4 du code de la santé publique), dit au "Quotidien" le conseil de la famille de Mme X. On l'a endormie, ajoute-t-il, enlui retirant de fait toute possibilité de consentement. » Il ne s'agit pas, compte tenu de la procédure employée, d'un procès en responsabilité. « On pourrait le faire, réclamer des dommages et intérêts, estime l'avocat, mais ce n'est pas la volonté de ma cliente. » L'ordonnance de la juridiction administrative est rendue le 25 août. Elle demande au centre hospitalier de Valenciennes de ne plus transfuser la patiente. De son côté, l'hôpital fait appel, en soulignant qu'aucune expertise médicale n'a eu lieu. Il se fonde, notamment, sur un arrêt du Conseil d'Etat, dit « Kokinakis », du 26 octobre 2001, qui considère que des médecins de l'AP-HP de Paris ayant pratiqué des transfusions sur un Témoin de Jéhovah contre son gré « n'avaient pas commis de faute »... Le lundi 26 août, ses jours n'étant plus en danger, la jeune femme, désormais maman d'un petit garçon, a pu quitter l'hôpital.
De l'avis de Me Berton, le jugement du 25 août « fait d'ores et déjà jurisprudence, car c'est la première fois, depuis la promulgation de la nouvelle loi (du 4 mars) , que la justice est amenée à trancher dans ce cas de figure ». En réalité, le Conseil d'Etat devra donner son avis. « Il va constater, imagine le juriste, que le président du tribunal administratif n'a commis aucune erreur, sachant que le processus vital n'était pas en jeu, et que Mme X avait refusé catégoriquement la transfusion et signé une décharge. »
Choisir son procès
Dans le cas d'un Témoin de Jéhovah « doctrinal » (voir encadré) qui est accidenté ou gravement malade, le médecin doit agir aujourd'hui selon la loi Kouchner du 4 mars 2002. Or, comme on le voit avec l'affaire de Valenciennes, sa décision peut être contestée, même si, pour ce cas précis, sa responsabilité pénale n'est pas engagée. « Le problème des Témoins de Jéhovah est évoqué lors d'un enseignement postuniversitaire de 3e cycle », indique au « Quotidien » le Dr Deschoemaker, qui travaille au SMUR de Valenciennes depuis trois ans. A l'issue de deux heures d'information consacrées à ce thème, il revient au praticien, en quelque sorte, de choisir son procès : « La non-assistance à personne en danger ou soigner quelqu'un contre son gré. » « Tant que le patient est conscient, je suivrai son avis, et si sa conscience est altérée, je le transfuserai », traduit le Dr Deschoemaker, qui ne se voit « pas laisser mourir un patient ».
Le Dr Martine Cotté, généraliste à Lille depuis quinze ans, garderait, pour sa part, « la force de conviction » dont elle ne se départ jamais dans son exercice. « Et si vraiment le pronostic vital est engagé, je ferai pression », confie-t-elle. Son confrère lillois Eric Dron, qui exerce en association avec deux omnipraticiens, se montre très ferme quant à l'attitude à adopter. « Si l'intéressé est capable d'apprécier la situation, après avoir été informé médicalement de son état, je ne le transfuse pas. Dans le cas contraire, et si son état est grave, je procède à une transfusion. Enfin, s'il est consentant, mais accompagné de Témoins de Jéhovah qui s'y opposent, je le transfuse après avoir fait évacuer ces derniers par la police. J'ai connu ce cas aux urgences du CHRU de Lille, il y a huit ou neuf ans, avec un patient qui présentait une appendicite aiguë. Il a fallu en appeler aux CRS pour faire sortir des proches du patient qui refusaient qu'on l'opère. » Enfin, le Dr Isabelle Joly, en tant que praticienne dans un laboratoire de parasitologie et mycologie à Lille, se trouve souvent en contact avec le service d'hématologie du centre hospitalier. « Autant que faire se peut », elle utiliserait « tous les arguments possibles », et s'efforcerait « à parler clairement ». « Il faut convaincre, bien qu'on ne puisse pas forcer les gens. S'ils veulent mourir... Mais, pour l'éthique médicale, conclut-elle, ce n'est pas facile de se conformer au refus d'un Témoin de Jéhovah. »
* Avant cette législation, le médecin, en son âme et conscience, pouvait imposer un traitement.
Le sang sacré des Témoins de Jéhovah
« En rapport avec les principes bibliques, et plus spécifiquement l'observance d'un commandement relatif au caractère sacré du sang, il n'est pas fait un usage guerrier (tu ne tueras pas), alimentaire et médical de celui-ci », explique au « Quotidien » Hervé Ramirez, directeur du service d'information hospitalier des Témoins de Jéhovah, quels que soient les circonstances et l'état de santé de la personne. Voilà pour l'aspect doctrinal de la chose. Mais il appartient à chaque personne de décider du choix qu'elle fera avec son médecin. En fait, le problème des Témoins de Jéhovah renvoie aux alternatives à la transfusion, telle que l'autotransfusion. Ici, dans telle structure de soins, elles ont cours ; ailleurs, comme l'a démontré une étude en chirurgie orthopédique à Cochin (Paris), elle sont trop rarement utilisées. »
En avril 2001, dans le Pas-de-Calais, un leucémique de 21 ans, Témoin de Jéhovah, est décédé pour avoir refusé une transfusion sanguine.
Les Témoins de Jéhovah revendiquent quelque 200 000 sympathisants, dont 110 000-120 000 sont « fidèles de la pratique du culte chrétien ».
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