A l'heure où des dizaines de chefs de service, notamment parisiens, dénoncent à cor et à cri la pénurie de personnel médical à l'hôpital (du moins dans certaines disciplines), une enquête inédite, menée auprès des internes de spécialité franciliens, met en lumière les aspirations et les motivations de la nouvelle génération de spécialistes, à la fois fière, élitiste, motivée, mais inquiète pour ses conditions d'exercice en ville.
Rendue publique aujourd'hui, cette étude (1) copilotée par la section spécialiste de l'union régionale des médecins libéraux (URML) d'Ile-de-France et par le Syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP), a été conduite lors des choix de stage en mars 2003 auprès de 1 600 internes et a permis de recueillir 800 réponses (dont 52 % de femmes), une cohorte assez remarquable.
Le risque médico-légal n'est pas un critère de choix
Rassemblés dans un Livre blanc sous-titré « A quoi rêvent les jeunes spécialistes », les résultats révèlent en premier lieu que le choix de la spécialité est d'abord guidé par l'intérêt intellectuel ou pratique (29 %), devant la qualité de vie à terme (14 %) ou la rémunération (8 %). En revanche, et c'est une surprise, compte tenu de la médiatisation de ce dossier depuis deux ans, le risque médico-légal reste abstrait en tant que critère de choix (2 %) pour la jeune génération. De même, la qualité de vie durant l'internat n'est, malgré les idées reçues, qu'une motivation très relative (8 %). Les internes sont d'ailleurs particulièrement studieux, si l'on considère que moins de 15 % d'entre eux ont pris ou envisagent de prendre une disponibilité durant leur internat, et près de 40 % veulent enrichir leur cursus par un complément de formation non médical (DEA, thèse...).
Autre éclairage utile : les internes sont décidés à exercer pour de longues années dans la même discipline, qu'ils ont souvent choisie tôt dans leur cursus. Ils n'envisagent pas de changer de spécialité à court terme (84 % de réponses négatives), ils l'envisagent un peu plus à long terme (71 %de non), des taux qui, selon l'étude, « limitent les effets passerelles souvent évoqués par les tutelles pour répondre aux besoins démographiques non anticipés ». Formés à l'hôpital, les internes de spécialité refusent majoritairement l'hypothèse d'un semestre en médecine libérale (cabinet de ville ou clinique), hormis les futurs pédiatres.
Vers l'extinction de l'exercice solitaire ?
Autre sentiment passé au crible : la perception de l'exercice professionnel futur. Ici se brosse le portrait d'une génération qui s'interroge et, souvent, doute. L'aspiration à un exercice exclusivement libéral « devient rare », expression d'un « choix masculin », alors que la profession se féminise à grands pas. 60 % des internes désirent un exercice mixte, à la fois hospitalier et libéral. Selon l'étude, le désintérêt du secteur libéral est « particulièrement marqué » pour les disciplines à forte pénibilité : gynécologie-obstétrique, anesthésie, spécialités chirurgicales. La « crise » de la chirurgie, diagnostiquée dans des rapports récents, ne risque pas d'améliorer la donne. A l'inverse, la radiologie est la spécialité dans laquelle une forte majorité des internes (70 %) se destinent à exercer en libéral.
Autre indice d'une angoisse diffuse : pour ceux qui veulent s'installer en ville, la volonté d'exercer seul est devenue marginale (3,7 %), hormis, précise l'étude, « pour certains psychiatres et quelques femmes gynécologues ». Le travail est envisagé en cabinet de groupe (30 %) ou en clinique (25 %). A l'évidence, la perspective de mise en commun des moyens, y compris dans le cadre de plateaux techniques complets, séduit et rassure. Rassurante est également la pratique généralisée du remplacement avant d'entamer une carrière en libéral : 57 % des internes estiment qu'il s'agit de la meilleure voie d'insertion en médecine de ville. A noter que la durée moyenne de remplacement envisagée par les internes atteint dix-huit mois, « la tendance étant à l'allongement ». Certains internes comptent même faire du remplacement un statut à moyen terme, en prolongeant cette activité pendant quatre ans.
Vers une baisse des volumes horaires
L'étude confirme la volonté des internes d'organiser leur exercice en réservant une place au temps libre, « une valeur qui compte », insiste le Livre blanc. Cette tendance caractérise aussi bien les hommes que les femmes, et toutes les disciplines de l'internat. « Le facteur temps libre se situe entre un quart et un tiers de l'activité », précise l'enquête. Même si l'étude ne précise pas à quoi les futurs médecins en exercice veulent consacrer ce temps, cette aspiration risque de nourrir le débat dans un contexte de pénurie annoncée. « On peut s'attendre globalement à une diminution des volumes horaires effectués par les médecins libéraux », lit-on dans l'étude . Une hypothèse à « prendre en compte dans les projections démographiques ».
S'ils envisagent de travailler un peu moins que leurs aînés, les internes franciliens avouent également leur penchant pour une installation en province. Un interne sur deux désire s'installer hors de la région francilienne et, parmi eux, 75 % des futurs anesthésistes et 60 % des futurs chirurgiens. Cette relative « désaffection pour la région francilienne » inspire une conclusion audacieuse. Cela « doit faire reconsidérer l'attractivité de cette région et, par conséquent, sa démographie médicale, qui, à l'image de la démographie des infirmières, pourrait se révéler déficitaire dans un avenir proche », affirme l'étude.
Trop de charges
Le Livre blanc consacre enfin un volet spécifique aux inquiétudes liées à la pratique libérale. Parmi les principaux freins à la médecine de ville, les futurs spécialistes stigmatisent d'abord les charges administratives (27 %) et le risque financier (20 %), puis le temps de travail hebdomadaire (16 %) et l'avenir incertain (15,7 %). Dans ces conditions, le secteur II, perçu comme une soupape de sécurité, est plébiscité (73 % d'opinions favorables), avec un « attachement manifeste à son caractère méritocratique ». En clair, les internes veulent préserver l'accès actuel au secteur à honoraires libres, limité aux anciens chefs de clinique et assistants. Seulement 16 % des futurs spécialistes sont en faveur de sa généralisation (un taux plus fort chez les pédiatres et les obstétriciens) et 4 % de sa suppression. Sans surprise, enfin, le paiement à la capitation unique (forfait par patient) est rejeté par les futurs spécialistes, qui préconisent le maintien du paiement à l'acte seul (48 %) et, éventuellement, une rémunération mixte (33 %).
(1) « Le Quotidien » avait publié, dans son édition du 16 juin 2003, les premiers résultats de ce travail. L'age moyen des internes ayant répondu est de 27,8 ans.
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