TRANSFERT DE COMPÉTENCES, délégations d'actes, coopération entre les professionnels… Différentes appellations se sont succédé ces dernières années pour définir le concept qui permettra d'améliorer l'organisation du système de santé. Alors que la population française, vieillissante, est confrontée à des pathologies lourdes, et que le nombre de médecins va diminuer dans les prochaines années, la coopération entre professionnels de santé apparaît aujourd'hui comme une nécessité. La réflexion amorcée dès 2003 dans les propositions du premier rapport sur la démographie médicale du Pr Yvon Berland a mûri. Elle s'enrichit aujourd'hui des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) sur les nouvelles formes de coopération entre les professionnels de santé. L'institution a réalisé ce travail avec l'Obervatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS). Les professionnels de santé ont été concertés à plusieurs reprises. A travers une quinzaine d'expérimentations de délégations d'actes réalisées sur le terrain, une enquête menée sur Internet et une consultation publique (voir encadré). Autant de confrontations d'idées qui font aujourd'hui dire au Pr Laurent Degos que le monde médical s'est approprié le concept. «Il y a cinq ans, il y a aurait eu une levée de boucliers, assure le président de la Haute Autorité. Aujourd'hui, le principe fait consensus comme l'ont montré les états généraux de l'organisation de la santé (EGOS) dont ce fut l'un des thèmes principaux.» A l'instar de ce qui se passe dans de nombreux pays anglo-saxons où elle est monnaie courante, la délégation d'actes fait beaucoup réfléchir en France. La HAS s'interroge sur les actes, aujourd'hui réservés aux médecins, que pourraient réaliser des professionnels de santé. Les dernières expériences ont, par exemple, permis à des manipulateurs radio de réaliser des échographies cardiaques à La Timone à Marseille, à un infirmier de se voir confier le suivi de malades diabétiques au CHU de Nantes, ou à un orthoptiste de mesurer l'acuité visuelle dans la Sarthe… Autant d'expérimentations qui font l'objet d'évaluations de la part de la HAS d'où il ressortirait que ces délégations font gagner un temps médical précieux aux praticiens.
«L'idée est de confier des tâches, exercées notamment par des médecins à d'autres professions de santé, qui existent ou qui correspondent à de nouveaux métiers», explique le Pr Yvon Berland.
Evolutions de carrière.
Pour développer de nouvelles formes de coopérations, la HAS préconise de réformer trois piliers de l'organisation des professions de santé : le système de formation, le cadre juridique et les conditions d'exercice et de rémunération.
Le Pr Berland évoque la possibilité de mettre en place de nouvelles évolutions de carrière pour certains métiers après une «redéfinition des compétences».
Dans ce nouveau schéma, les professionnels ayant acquis un diplôme universitaire (DU) et complété leur cursus pourraient se voir confier des missions d'évaluation clinique, le diagnostic, voire certaines prescriptions. «Quand on regarde le système de santé, il est composé de médecins qui ont bac +11 ou +12, voire de bac +14, alors que les autres professions de santé sont souvent à bac +3, explique le Pr Berland . Ce faisant, les médecins font des actes qui ne justifient pas douze ans de formation. On a là une perte de temps médical qui ne peut plus être tolérée, compte tenu des évolutions démographiques. Les infirmières qui le souhaitent pourraient élever leur formation à un niveau supérieur.»
Ces évolutions de formation pourraient s'inscrire dans le cadre de l'intégration des professions de santé au cursus européen du LMD.
De nouveaux métiers pourraient ainsi être créés, comme ce fut le cas récemment avec les conseillers en génétique, ou comme cela pourrait l'être avec le métier de coordinateur du parcours de soins, évoqué par Yvon Berland.
Pour ces nouveaux métiers, il semble utile au président de l'ONDPS qu'une homogénéisation des diplômes universitaires s'effectue sous la double tutelle des ministères de l'Enseignement supérieur et de la Santé.
Le déploiement de la coopération entre professionnels de santé nécessitera également de revoir la juridiction. Laurent Degos souligne qu'une loi cadre devrait autoriser les actes de coopération pour les professionnels qui en ont les compétences. La réflexion devrait également se poursuivre pour savoir comment valoriser la réalisation par les professionnels de ces nouvelles missions.
«Il existe encore beaucoup de freins», reconnaît le Pr Degos. Et quelques réticences. L'Académie de médecine et l'Ordre des médecins ont déjà fait savoir quelques doutes quant au projet de la HAS : «Sauf circonstances exceptionnelles, le médecin doit rester le premier recours du patient.» Selon l'Ordre et l'Académie, «la délégation d'actes ne saurait être une variable d'ajustement de la pénurie médicale, car la pénurie touche d'autres professions de santé, comme les infirmières».
L'avis des professionnels consultés
Avant de « labelliser » définitivement sa recommandation, la HAS a mené pendant plusieurs mois sur Internet une consultation publique des professionnels de santé. Elle a par ce biais recueilli 218 avis (émanant pour un quart de directeurs et de cadres de soins, pour 30 % d'infirmières, pour 18 % de kinés et pour seulement 6 % de médecins).
Premier enseignement de cette enquête – que ne tire pas la HAS : la question des nouvelles coopérations ne provoque pas une ruée des professionnels (et surtout pas des médecins). Avec 218 réponses, on est loin de l'engouement. Quant à ceux qui ont répondu (à titre individuel, pour la plupart), ils ont dans l'ensemble adhéré au projet de la HAS, le jugeant « satisfaisant » ou « très satisfaisant » à 75 %. Avec les limites que suppose le faible taux de réponse, ce sont les médecins qui paraissent les moins convaincus – 21 % étiquettent « peu satisfaisante » la copie de la HAS (contre 3 % seulement des infirmières). Dans le détail, les professionnels ont très clairement indiqué quelles activités ont leur préférence pour donner lieu à coopération : très favorables à ce mouvement pour tout ce qui concerne le suivi de malades chroniques ou la prévention, ils le sont beaucoup moins pour des interventions plus techniques comme l'écho-radiologie ou les endoscopies digestives. Invités à citer des activités pouvant être confiées à d'autres personnes si tant est qu'elles aient suivi une formation adaptée, les professionnels ont quasiment tous (80 %) eu des idées. Ont été notamment cités à plusieurs reprises : le suivi des insuffisants respiratoires par des kinés (aérosolthérapie, ventilation, exploration fonctionnelle respiratoire, spirométrie...) ; la prise en charge en anesthésie par les IADE (infirmières spécialisées) des patients ASA1 (indice de gravité faible) pour la réalisation d'anesthésie locorégionales ou la pose des voies veineuses centrales ; la consultation de tri et d'orientation par une infirmière dans les services d'urgence pédiatrique. > K. P.
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