Le Premier ministre de Malaisie, Mahathir Mohamad, a déclaré, à l'occasion de la réunion de l'Organisation de la conférence islamique (OCI) : « Les Européens ont tué six millions de Juifs sur douze. Mais, aujourd'hui, les Juifs dirigent le monde par procuration. Ils obtiennent que les autres se battent et meurent pour eux. »
M. Mahathir n'en est pas à son premier accès de délire antisémite. Bien entendu, ses propos ont été jugés « méprisables » par les Américains, condamnés par les Européens, vivement dénoncés par Israël. Ce qui serait infiniment plus positif, c'est que l'OCI elle-même réagisse avec colère et refuse que des propos aussi répugnants puissent être tenus en son sein. Mais il ne faut pas rêver.
Une émission d'Arte
La semaine dernière, Arte a diffusé un programme de Daniel Lecomte qui présentait un reportage de Jean-Charles Deniaux et animait un débat sur l'antisémitisme. On y a vu des gosses incapables de prononcer le mot « juif » sans y associer le qualificatif de sale ; mais le plus grave, c'est qu'un « historien » musulman ait pu affirmer que les Juifs ont été les « complices » des nazis et qu'aujourd'hui ils uvrent encore pour la « pureté » de leur race en Israël même, où ce n'est pas un hasard si l'on trouve des hommes blonds aux yeux verts.
Bien que la diffusion des programmes d'Arte soit relativement limitée, bien qu'ils soient regardés en général par un public cultivé, on peut toujours craindre qu'un tel discours ne soit pris à la lettre, de même que celui d'une beure qui affirme sans ambages qu'Israël se livre sur les Palestiniens à un « génocide lent » qui dure depuis cinquante-cinq ans. Fort heureusement, M. Lecomte a pris soin de faire parler quelques Français juifs. Mais ils ne pouvaient pas répondre directement aux mensonges proférés dans le reportage.
Le judaïsme n'est pas une race. Un peuple qui a vécu en exil pendant deux mille ans acquiert forcément, par les effets du métissage, les caractéristiques des peuples auxquels il se mêle. Et pour beaucoup de Juifs, c'est moins une religion qu'une tradition. C'est, avant tout, une identité. On parle beaucoup en ce moment de deux jeunes filles qui veulent porter le voile à l'école. Leur patronyme est Lévy. Elles ne sont pas juives pour autant, elles sont musulmanes. Est juif celui qui se revendique en tant que tel. Il suffit de ne pas vouloir être juif pour ne pas l'être.
Quant à l'Etat « racial » ou raciste décrit par l'historien filmé par Arte, il n'existe pas. Certes, il y a des blonds aux yeux verts en Israël, mais il y a, en plus grand nombre encore, des bruns aux yeux noirs indistincts de leurs cousins arabes (ou sémites). Il y a aussi plusieurs milliers de Noirs venus d'Ethiopie voici quelque vingt ans, grâce à un pont aérien mis en place par Israël. Il y a des Juifs chinois qui font circuler une bonne blague : à savoir que lorsqu'ils rencontrent un Juif blanc, il n'a pas, selon eux, une tête de Juif.
Quant au complot ourdi par les Juifs et les nazis, il est curieux qu'il se soit traduit par l'extermination du premier groupe.
Enfin, le « génocide palestinien » présente une différence de taille avec la Shoah : d'une part, plus de Palestiniens ont été tués au Liban ou en Jordanie qu'en Cisjordanie et à Gaza ; d'autre part, l'intifada, à ce jour, a fait un peu plus de trois mille morts, dont huit cents Israéliens. Rapporté à la Shoah, cela voudrait dire que, pour assassiner six millions de Juifs, les nazis auraient dû perdre, dans le même temps, deux millions des leurs.
Le problème posé n'est pas celui de l'outrance de foules incultes livrées à leurs passions, ni même la perversité de personnes dont l'érudition est biaisée par la haine. Il se situe dans une inversion des valeurs poussée à son paroxysme et qui dépasse le négationnisme ou le révisionnisme. On assiste à un effort organisé et structuré pour retourner l'histoire contre ceux qui en ont été les victimes. Les Juifs d'il y a soixante ans auraient été les complices des nazis et préfiguraient les Juifs nazis d'aujourd'hui.
Lorsque des leaders d'opinion, intellectuels ou agitateurs professionnels, accusent Israël de « génocide », ils tentent, et semble-t-il avec succès, d'attribuer le plus ignoble des crimes à ceux qui n'ont cessé de subir ce genre de crimes. Bref, les Juifs, dont le catéchisme dénonçait naguère le crime originel, ont retrouvé leur statut d'éternels bourreaux.
La situation en France s'est compliquée, ces trois dernières années, par la présence, dans notre pays, d'une forte communauté musulmane dont la majeure partie s'identifie à la cause palestinienne. La deuxième intifada a déclenché dans cette communauté une colère que des forces occultes attisent délibérément : imams venus d'Arabie et qui ne parlent même pas le français, intégristes tentés eux-mêmes par le terrorisme, prosélytisme dans les prisons.
Cette partie de la communauté musulmane s'efforce en outre de convertir le reste de la population française à la cause palestinienne. Elle y parvient sans mal dès lors que les islamistes sont accueillis à bras ouverts par les militants altermondialistes. La popularité de José Bové, auteur d'une bévue célèbre au sujet des attentats du 11 septembre - qu'il a attribuée aux Israéliens, pour se rétracter ensuite -, la fièvre anti-américaine entretenue, volontairement ou non, par notre propre diplomatie, les relations fusionnelles entre Bush et Sharon, la confusion désormais licite entre Israélien et Juif (tous les Juifs de France seraient des agents israéliens, si l'on comprend bien le jugement que Rony Brauman porte sur la communauté juive de France), permettent de convaincre un certain nombre de Français qu'il y a peut-être une part de vérité dans certaines accusations, qu'un Juif reste un Juif, ici ou ailleurs, et que les Juifs, comme jadis, sont naturellement nuisibles.
Que des gosses ignares crient « vive Ben Laden ! » dans un stade, que des imbéciles portent des banderoles qui présentent Sharon sous les traits de Hitler ne serait pas grave si le téléspectateur observait tout cela avec la distance requise. En revanche, dès lors que des hommes et des femmes de gauche ou d'extrême gauche participent à ces grandes fêtes de la haine, le mensonge devient crédible.
Pensée pervertie
Le témoignage sur Arte de l'ancienne porte-parole des Verts à Paris, qui a eu le mauvais goût de prendre fait et cause pour des Juifs de gauche agressés par des beurs pendant une manifestation et que sa hiérarchie n'a guère soutenue, est accablant pour le parti écologiste : on trouve à gauche des gens qui découvrent une utilité à l'antisémitisme, en même temps que des intellectuels de gauche se servent de la violence israélo-palestinienne pour ne jamais accuser que les Israéliens, et ne sont pas loin de justifier le terrorisme en l'assimilant à un combat de libération. Les mêmes vont jusqu'à avancer l'idée que la solution du conflit israélo-palestinien est dans la destruction d'Israël et la création d'une Palestine avec une minorité juive (qui survivrait combien de jours ?), niant ainsi la bataille pour l'indépendance qu'ont livrée en 1948 les rescapés des camps de la mort.
Pour la France, voilà le danger : la perversion d'une pensée qui se croit généreuse et se tourne en réalité vers de si vieux démons qu'on croyait naïvement qu'ils étaient démodés.
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