On n'est pas vraiment informé sur la guerre, pourtant féroce, qui se poursuit en Afghanistan. Ne communiquent vraiment que les taliban, spécialistes du bobard, et les forces de l'Alliance du Nord, dont la crédibilité n'est pas tellement meilleure.
Les Américains ne disent à peu près rien. Ce qui a conduit l'opinion des Etats-Unis à redouter le pire. Les révélations faites de temps à autre par des journalistes spécialisés dans la recherche de l'information exclusive sont partielles. Seymour Hersh, vétéran de toutes les crises, a publié dans le « New Yorker » un article racontant l'échec d'un commando des forces spéciales américaines qui a été obligé de s'enfuir à la hâte après avoir eu beaucoup de blessés dans ses rangs. Un autre nous dit que, par manque de coordination, le mollah Omar a eu la vie sauve : le tireur qui l'avait dans son collimateur n'a pas eu à temps l'ordre (sans doute de Washington) de tirer.
Malgré l'hiver et le ramadan
Le gouvernement américain ne parle plus de la guerre « avec zéro mort », ce qui ne signifie pas qu'il néglige les vies de ses soldats. Il prépare l'opinion à une action au sol. Mais il ne dit pas combien d'hommes il a acheminés dans la région, sans doute en Ouzbekistan où, officiellement, se trouvent 2 000 soldats américains.
On sait que des militaires britanniques participeront à l'opération, que le chancelier Schröder a obtenu du Bundestag l'autorisation d'engager 3 900 soldats. On sait aussi que la guerre continuera malgré l'hiver et le ramadan. On croit comprendre que les taliban résistent bien, restent organisés et en ordre de bataille, malgré de très lourds bombardements.
Cependant, on ne peut pas dire non plus avec certitude que les bombardements sont restés sans effet. L'aviation américaine dispose de bombes capables de pénétrer dans les grottes où sont installées les cellules du réseau de la Qaida et d'y faire d'énormes dégâts. Certains spécialistes parlent de la mort de 150 terroristes dans l'une de ces grottes.
En revanche, on trouve dans les journaux de nombreux commentaires, notamment ceux des anciens généraux russes qui ont l'expérience de l'Afghanistan. Leurs propos sont alarmants. Ils rappellent d'abord un certain nombre de données évidentes : la géographie tourmentée du pays permet aux taliban d'organiser la résistance, d'autant que leur armée n'est pas structurée comme une armée classique et que, s'ils reculent sur le front, ils peuvent conserver des enclaves à partir desquelles ils seront en mesure de harceler les forces alliées.
Un officier russe dit que l'Amérique doit envoyer sur place 100 000 soldats, un autre parle de 500 000. Il n'y a pas de raison de négliger des analyses formulées par des hommes qui ont vécu l'un des conflits les plus durs de l'après-guerre. Cependant, on peut penser que les Russes exagèrent un peu : leur propos global, c'est que, si l'Armée rouge a été défaite, aucune autre armée ne l'emportera.
Mais jamais les troupes soviétiques n'ont disposé des moyens militaires des Etats-Unis, qui étaient déjà très sophistiqués pendant la guerre du Golfe (on disait alors couramment que le Pentagone testait les armes de l'avenir) et qui ne peuvent être que plus efficaces aujourd'hui.
Par ailleurs, tout en accueillant avec circonspection les communiqués de l'Alliance, on a l'impression qu'elle fait de lents progrès, qu'elle est tout près de Mazar-i-Sharif et que les dissidents du Sud ne sont pas très loin non plus de Kaboul.
Ne pas oublier les objectifs
L'inconvénient de ce conflit très particulier, c'est que les taliban n'ont besoin, pour exercer leur autorité, ni de Mazar ni de Kaboul. Le mollah Omar vit d'ailleurs à Kandahar qu'il abandonnerait, si elle était conquise, pour prendre le maquis et garder son pouvoir de nuisance.
Il ne faut pas oublier toutefois les objectifs américains. L'idéal serait de se débarrasser une fois pour toutes des taliban et de Ben Laden. Mais le principal est de désorganiser les réseaux terroristes pour qu'ils ne puissent pas monter des opérations meurtrières aux Etats-Unis et en Europe.
Si les talibans et les terroristes peuvent s'abriter dans les grottes ou se cacher dans les montagnes, le harcèlement permanent des bombardements américains, la pression au Nord et au Sud sur les lignes de front, l'isolement total des mollahs, la nécessité pour Ben Laden de fuir la traque des Américains ne placent ni celui-ci ni ceux-là dans la position de détruire les ponts de San Francisco ou les tours de Chicago.
C'est pourquoi les appels à la trêve du ramadan et les suppliques en faveur des civils afghans (lesquels sont mieux épargnés depuis une semaine) sont inacceptables pour les victimes du terrorisme. La plus belle victoire de Ben Laden consisterait à rééditer son coup de New York et de Washington alors qu'il est pourchassé. L'Amérique et l'Europe font tout pour ne lui laisser aucun répit : descentes de police, gel des avoirs financiers, surveillance des milieux suspects, harcèlement militaire en Afghanistan, stimulation des services secrets au Pakistan et en Arabie Saoudite, menaces publiques contre l'Irak, tout est fait pour la prévention.
On ajoutera que, si un nouvel et grave attentat avait lieu, les Etats-Unis ne pourraient pas limiter leur riposte et qu'aucune considération humanitaire ou diplomatique ne les empêcherait d'oblitérer l'Afghanistan ou d'attaquer d'autres pays. C'est ce qui explique que le Pakistan ait rejoint la coalition, que l'Arabie saoudite, bien qu'elle soit irritée par les révélations sur son rôle dans le renforcement de l'intégrisme, soutienne sans le dire l'action militaire des Etats-Unis, que l'Irak se tienne coi, que la Syrie ne dise mot. Tout le monde craint la fureur américaine.
En fait, les Américains n'ont pas vraiment besoin d'une victoire en Afghanistan. Ils ont seulement le devoir d'empêcher de nouveaux attentats et c'est pourquoi George W. Bush ne cesse de répéter que la guerre sera longue ; pas seulement parce que la victoire est lointaine, mais parce que, tant que les terroristes seront pourchassés en Afghanistan et ailleurs, ils auront besoin de sauver leur peau avant d'organiser des attentats. Voilà pourquoi il ne faut pas se laisser impressionner par les commentaires des experts. Une guerre ne ressemble jamais aux précédentes.
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