En dépit de la détermination affichée du gouvernement des Etats-Unis, beaucoup d'inconnues pèsent sur la guerre d'Afghanistan dont la durée risque de détériorer la posture morale américaine.
Comme l'écrit fort bien un commentateur américain, la lutte contre le terrorisme international n'est pas l'affaire des fainthearted, les gens au cur sensible. Les précédents du Kosovo et du Golfe suffisent à nous rappeler qu'une campagne de bombardements ne va pas sans erreurs de tir, sans pertes civiles, sans un mouvement mondial de protestation ; mais aussi que l'action militaire finit par faire reculer, ou capituler, l'ennemi. Il n'y a donc pas lieu de paniquer parce que la campagne dure (George W. Bush a parlé d'un conflit qui pourrait durer deux ans), parce qu'Ossama Ben Laden n'est pas encore dans une cellule de la prison de New York ou parce que les bombardements de Kaboul n'empêchent pas les attaques au bacille de charbon.
Un différend avec la presse
Mais déjà un différent oppose le Pentagone aux médias américains sur la diffusion des informations. Le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, reproche à la presse d'avoir annoncé la présence de commandos américains sur le sol afghan et de les avoir mis en danger ; de son côté, la presse reproche au gouvernement d'avoir minimisé le danger que représente le bacille de charbon, et l'accuse d'avoir ainsi été indirectement responsable de la mort de deux postiers de Washington.
Par ailleurs, bien que M. Bush n'ait lancé ses attaques aériennes qu'au terme d'un mois de préparation et de contacts diplomatiques, il ne sait toujours pas qui doit remplacer les taliban. L'idée d'une prise de pouvoir par l'Alliance est impropre : les forces du défunt commandant Massoud ne sont pas particulièrement populaires en Afghanistan où elles ont organisé le chaos pendant quatre ans avant l'arrivée des taliban ; le Pakistan exige que des « taliban modérés », espèce introuvable, participent à un nouveau gouvernement ; de sorte que M. Bush n'est pas très sûr qu'il doive laisser la bride sur le cou aux troupes anti-taliban.
Sur les résultats obtenus par près de vingt jours de bombardements, on ne sait strictement rien. On ne peut pas se fier aux communiqués des taliban, qui ne peuvent que mentir. Mais on ne voit pas que les forces de l'Alliance aient progressé : elles n'ont pas encore pu s'emparer de Mazar-i-Sharif, pourtant à portée de tir, et elles sont toujours aussi loin de Kaboul, séparée de la ligne de front par un relief excessivement tourmenté.
Les avions américains ont commencé à bombarder les positions des taliban. Tony Blair, toujours optimiste, affirme que les « neuf camps de la Qaida ont été détruits ». Pas de nouvelles de Ben Laden pour autant : si des commandos le cherchent, ils ne l'ont pas trouvé.
Enfin, l'arrivée de l'hiver va geler la campagne militaire, comme cela a été le cas depuis plus de vingt ans. Si les taliban ne sont pas vaincus dans quelques jours, toute solution politique semblera un peu théorique.
Pour le moment, le risque d'enlisement des forces américaines est faible ou nul : en dehors des raids de commandos, les troupes américaines ne sont pas sur le terrain. Mais on songe de plus en plus, à Washington et ailleurs, à une bataille terrestre qui permettrait au moins aux Etats-Unis d'imposer les éléments essentiels de la solution politique. On est même prêt, aux Etats-Unis, à sacrifier des vies de soldats.
La vraie question concerne l'efficacité des efforts américains. Ils ne peuvent pas commettre l'erreur d'abandonner l'Afghanistan à son sort après l'avoir négligé pendant deux décennies et bombardé pendant quelques semaines ; ils sont donc tenus de remporter une victoire sur les taliban et de remettre de l'ordre dans les affaires d'un pays qui n'a plus rien, ni structures administratives, ni système social, ni économie. L'enlisement moral a donc déjà commencé.
Le volet diplomatique
La solution passe par la mise en place du volet diplomatique du conflit : une réunion, sans doute au Pakistan, des représentants ethniques et politiques de l'Afghanistan, sous la houlette de Zaher Shah, le roi détrôné il y a trente ans par un coup d'Etat, permettrait de définir le prochain gouvernement afghan. Ce qui apportera la démonstration de l'isolement des taliban et annoncera la fin de leur régime. La progression simultanée des forces de l'Alliance complètera l'effort politique.
S'il est impossible de capturer Ben Laden, la bataille contre le terrorisme doit s'intensifier en Europe et aux Etats-Unis. Il ne faut laisser aucun répit aux réseaux de la Qaida et lancer à leurs trousses assez d'agents pour que les « dormants » eux-mêmes soient perturbés. Quant aux mesures de sécurité et de prévention, il faudra que nous nous y habituions tous, car elles devront rester en vigueur pendant des décennies.
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