Polémique sur un reportage en Afghanistan

La guerre, la mort et les médias

Publié le 07/09/2008
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ÉTAIT-CE BIEN nécessaire ? Fallait-il que les lecteurs de « Paris Match » voient et lisent un reportage sur une victoire remportée par les taliban contre nos troupes ? Poser la question, c'est, d'une part, établir une différence entre la presse de bon goût et la presse de mauvais goût, ce qui est un exercice dangereux, car il réduit automatiquement la liberté d'expression au nom de critères partiaux ; et c'est, d'autre part, accepter que la vérité puisse être tronquée ou empêcher que la lumière soit faite sur un événement qui a affecté tous les Français. De ce point de vue, le débat est clos avant d'avoir commencé : aucun journaliste ne peut contribuer à un acte de censure, fût-il commis au nom de la décence.

Mais on ne peut pas davantage ajouter au chagrin des familles des victimes : publier de telles photos, c'est, sur le seul plan de l'éthique, prendre consciemment la responsabilité de retourner le couteau dans la plaie de ceux qui ont perdu un être cher. Dans un débat radiophonique, un défenseur du photoreportage rejetait toute critique au nom de l'irréfutable vérité que livre à l'opinion le témoignage du journaliste. Il n'empêche que personne n'a le droit d'imposer son absolu à tous les autres, de ne fonctionner que par rapport à une profession qui serait supérieure aux autres, de mettre en oeuvre une technique sans se préoccuper des conséquences de ce qui est publié. À ce compte-là, la pornographie serait louable parce que le coït est une réalité universelle.

Et, au-delà des familles, il y a les Français. Si notre pays participe à un conflit, il est dangereux de démoraliser la population, de même qu'il ne serait pas glorieux de montrer des photos de cadavres de taliban pour assouvir la soif de vengeance. D'autant que, dans son souci de ne pas commenter l'événement, le reportage finit par donner aux menaces des insurgés et à leur propagande un accès à l'opinion française qui déséquilibre le débat ; ils tueront nos soldats jusqu'au dernier, disent-ils. Nous pourrions leur promettre le même sort, sinon que nous préférons les actes aux paroles. Les mots n'ont rien à voir avec le rapport de force. Pour le moment, les taliban n'ont pas gagné et ils peuvent encore être battus.

ON N'AJOUTE PAS AU CHAGRIN DES FAMILLES AU NOM D'UN ABSOLU PROFESSIONNEL

La passion du scoop.

Il s'agissait certainement d'une exclusivité journalistique ; on ne saurait nier le courage et l'habileté de ceux qui ont accompli ce travail remarquable ; aussi bien, la qualité même du reportage nous renvoie à cet absolu professionnel qui ne doit pas se transformer en machine à broyer les coeurs. Des journalistes devraient envisager de réaliser l'exclusivité de leur vie sans la publier.

Enfin, cette affaire n'est que l'écume d'une tempête plus vaste et plus profonde : en renforçant le corps expéditionnaire français en Afghanistan, Nicolas Sarkozy n'ignorait pas que les Français n'ont aucune envie de participer à cette guerre ; il n'ignore pas que, de nos jours, si des jeunes gens veulent faire une carrière militaire, ils n'envisagent pas pour autant de mourir ; il n'ignore pas que les familles des soldats tués découvrent avec une douleur indescriptible, mais non sans naïveté, que l'on prend un risque vital quand on s'engage dans l'armée ; il n'ignore même pas que son discours sur la nécessité de combattre le terrorisme là où il naît sans attendre qu'il arrive chez nous passe mal : pour une mère, aucun raisonnement, si justifié soit-il, ne peut expliquer la mort de son fils.

En même temps, l'Afghanistan n'est pas l'une de ces guerres où la nation tout entière est impliquée ; les jeunes ne sont pas tous engagés et la paix est si bien installée en France que notre première préoccupation concerne le pouvoir d'achat. Si le service militaire était encore obligatoire, notre présence sur un théâtre militaire étranger serait impossible ; l'armée professionnelle fait porter sur un très petit nombre le risque entier des conflits ; ils se sacrifient alors que tous les autres Français sont délivrés de la crainte de mourir au combat. La crédibilité diplomatique de la France a un prix extrêmement élevé.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8413