Nous avons tous le droit d'être furieux, non seulement de ce que la guerre ait lieu, mais de ce qu'on n'ait pas vraiment cherché à l'empêcher ; non seulement de l'obstination de George W. Bush, mais de la menace de veto de la France qui n'a fait, en définitive, que renforcer ce qu'on appelle maintenant « le camp de la guerre ».
Le président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, déclare, sans risque de se tromper, que « les Américains ont choisi depuis longtemps de faire la guerre ». Cela fait un an, effectivement, que le débat sur la guerre a envahi les médias américains. Il y a six mois, la France avait largement le temps d'influencer les Etats-Unis pour que, tout en accroissant leur pression militaire, ils obtiennent des résultats concrets de la mission des inspecteurs de l'ONU. Or la diplomatie française, au lieu de porter tout son poids sur Saddam Hussein et crédibiliser une menace militaire sans laquelle il n'aurait jamais essayé de composer avec ses adversaires, a exercé toute sa maestria contre Colin Powell, la seule colombe de l'administration américaine, d'abord en négociant durement les termes de la résolution 1441, ensuite en interprétant ce document dans un sens purement diplomatique alors qu'aux yeux des Etats-Unis, il les autorisait déjà à lancer l'offensive.
Du point de vue de Saddam
Saddam Hussein n'est ni aveugle ni sourd. Il a vu le camp atlantique profondément divisé, il a vu l'Europe morcelée, il a entendu la clameur mondiale où la France, qui, selon Jacques Chirac, « n'est pas pacifiste », a pourtant puisé un soutien à sa politique. Le président irakien a bel et bien cru qu'il pouvait s'en tirer à bon compte. L'aboutissement des efforts français, jalonnés de succès diplomatiques, tous remportés contre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, c'était le recours au veto, donc la fin de l'épisode onusien. La France s'est engagée dans une voie où elle ne pouvait qu'aller de l'avant ; M. Bush ne pouvait reculer devant une menace française aussi inattendue sans ravaler ses ambitions à celles du Panama.
Et bien que Tony Blair joue sa carrière dans cette affaire, il n'aurait pas rejoint « le camp de la paix » sans se ridiculiser. En fait, le Premier ministre britannique n'a eu le choix qu'entre deux maux de gravité égale.
Mais maintenant que les jeux sont faits, ceux qui sont engagés dans la bataille en récolteront les fruits, d'une manière ou d'une autre : soit parce qu'ils auront délivré les Irakiens d'un régime inique ; soit parce qu'ils trouveront les armes de destruction massive que Saddam prétend ne pas avoir tout en annonçant à ses ennemis des revers que seules ces armes peuvent leur infliger, et administrer la preuve de l'inanité des inspections ; soit parce que seuls les belligérants auront un droit de regard sur la reconstruction de l'Irak.
Le rappel incessant de notre amitié
A la veille du conflit, Dominique de Villepin a réaffirmé la position de la France, fondée sur le veto. On ne saura jamais si l'attitude intransigeante de la Russie, qui n'a aucun intérêt à se brouiller avec les Etats-Unis (au détriment de ses intérêts car les échanges russo-américains sont bien plus importants que ses investissements en Irak) s'est appuyée sur celle de la France, ou l'inverse. Mais M. Poutine n'a pas besoin de prendre les précautions que Jacques Chirac, dimanche, et Dominique de Villepin, lundi, ont prises : le rappel incessant de l'amitié franco-américaine et de l'alliance entre les deux pays au moment même où nous ne différons en aucune manière, aux yeux des Américains, de pays comme la Russie et la Chine, ne pouvait qu'accroître l'irritation de Washington. La douche écossaise administrée aux Américains le 10 mars par le président de la République pouvait encore passer. Mais au moment où des centaines de milliers de soldats américains et britanniques risquent leur vie, il vaut mieux se taire. Il y a des limites à l'ambiguïté, pour ne pas dire l'hypocrisie. Certes, les pacifistes américains ne manquent pas. Mais il ne faut pas s'y tromper : si les citoyens des Etats-Unis ne ratent jamais une occasion de se dresser contre leur gouvernement, ils sont très peu nombreux à remercier la France de son comportement, qu'ils jugent hostile à l'Amérique. Ce n'est pas ce que nos médias nous ont montré : ils ont fait une majorité de la minorité pacifiste américaine en ne s'adressant qu'à elle.
Si la guerre doit avoir lieu, ce dont nous ne nous réjouissons guère, il vaut mieux, comme le dit Dominique de Villepin, qu'elle soit courte et qu'elle fasse un minimum de victimes. Mais en réalité, les innombrables pseudo-pacifistes ne souhaitent qu'une chose : c'est que les forces américaines et britanniques s'enlisent dans une bataille longue et meurtrière. Ce qui leur donnerait raison a posteriori. Et comme cette hypothèse ne saurait, raisonnablement, être écartée d'emblée, on n'a pas de mal à imaginer, si les choses tournent mal, les terribles reproches que s'adresseraient les « alliés ». Au « on vous l'avait bien dit » que prononcerait ou sous-entendrait le gouvernement français, les Anglo-Saxons répondraient que si nous n'avions pas freiné leur élan, ils n'auraient pas rencontré de telles difficultés.
Le consensus national obtenu par M. Chirac est déjà suspect dans la mesure où il place dans son camp tous les partis, de l'extrême gauche à l'extrême droite ; il est suspect aussi parce que pratiquement toute la presse y adhère ; il volera en éclats quand nous commencerons à subir les conséquences de nos actes.
Coups bas
Les coups bas n'ont pas manqué dans « l'autre » camp qui, naguère, fut le nôtre. L'obstination de M. Bush et de ses conseillers, décidés à passer outre les mises en garde et les manifestations populaires, est intolérable. Tony Blair cherche à sauver sa peau politique en faisant porter la responsabilité de ses propres échecs sur la diplomatie française.
Mais nos dirigeants ne sont pas exempts d'une rouerie qu'ils ont mise au service de leur projet : M. de Villepin a abandonné M. Powell au milieu du gué alors que le secrétaire d'Etat américain comptait sur lui pour faire reculer les têtes « pensantes » du Pentagone. Il le roule dans la farine et, après, il va lui dire qu'il est son plus fidèle ami.
Les Américains seront d'autant plus magnanimes à l'égard de la France qu'ils seront parvenus à leurs fins sans trop de dommages. C'est le scénario « rose » que M. Chirac a écrit pour nous le 10 mars dernier à la télévision. Mais si les pertes américaines sont nombreuses, ils n'oublieront rien de nos manuvres, de nos « niet », de chacun des bâtons que nous avons mis dans leurs roues. C'est une France unie qui s'est dressée contre eux, en dépit de quelques notes discordantes mais rares, comme celle que fait résonner le député européen Jean-Louis Bourlanges (UDF) qui, dimanche dernier, chez Serge Moati, dénonçait le « logiciel antiaméricain » sans pour autant approuver la politique de M. Bush ; ou comme Michel Rocard, qui a publié dans « le Monde » de vendredi dernier l'article sur l'Irak le plus lumineux : au moins a-t-il montré qu'à tout prendre, Saddam est plus dangereux que George. N'a-t-il pas raison de dire que la démarche française n'a pas contribué à l'unité européenne et de rappeler que la lutte contre la dictature de Saddam passait de toute façon par une énorme pression militaire ?
Rien ne permet de dire aujourd'hui que, si les Occidentaux avaient été unis, la présence des forces anglo-américaines à l'orée du désert irakien n'eut pas suffi à évincer Saddam. On fera les comptes plus tard. Ils ne nous seront pas favorables.
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