Dr Claude Pigement, ancien responsable santé du PS

« La guerre de tranchées serait une impasse pour le corps médical »

Publié le 09/11/2015
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN - L’unité syndicale contre la loi de santé ne traduit-elle pas l’exaspération très profonde de la médecine libérale ?

DR CLAUDE PIGEMENT - C’est une unité syndicale de façade. Je me souviens des noms d’oiseaux échangés durant toute la campagne aux URPS ! Les stratégies, sur le fond, restent divergentes, notamment sur la place de la médecine générale. Je constate aussi qu’il y a un grand absent dans ce front uni : les représentants des jeunes médecins.

Mais je ne suis pas sourd : il y a indéniablement une désespérance des médecins dont la loi de santé est le prétexte. Je l’explique par plusieurs facteurs : la perte de reconnaissance sociale dont souffrent les médecins ; les conditions de travail très difficiles pour une profession qui ne compte plus ses heures ; le nouveau rôle des patients ; mais aussi la pression des infos glanées sur Internet. L’environnement est devenu stressant. Vient se greffer le sentiment de remise en cause de la médecine libérale à travers cette loi de santé. À cet égard, l’abstention de 60 % aux dernières élections professionnelles est un autre signal fort. Beaucoup de médecins ne croient plus en rien, ni dans le pouvoir politique, de gauche comme de droite, ni dans leurs syndicats. Cette désespérance est très préoccupante.

Justement, ne faut-il lâcher du lest sur le tiers payant généralisé obligatoire, massivement rejeté par la profession ?

La généralisation du tiers payant n’est pas une remise en cause de l’exercice libéral. Demandez aux radiologues, aux biologistes et aux pharmaciens : ce ne sont pas des fonctionnaires ! Il y a un vrai malentendu sur le tiers payant. Mais je comprends l’inquiétude des médecins qui ne veulent pas être pénalisés en terme administratif et financier. J’attends beaucoup du rapport commun CNAM/complémentaires pour établir une méthode en vue d’un mécanisme simple, sécurisé et aucun cas pénalisant ou chronophage pour les médecins. Le tiers payant généralisé est une réforme portée par le candidat Hollande élu au suffrage universel, portée par le gouvernement, par une majorité parlementaire et par une majorité de Français ! Il faut garder l’objectif mais prendre garde à la mise en musique.

Le divorce est consommé entre les médecins libéraux et l’exécutif. Comment le gouvernement et le PS peuvent-ils retisser les liens avec la profession ?

Dans l’immédiat, le mouvement de grève du 13 novembre, dit « Black Friday », sera sûrement très suivi. Je m’étonne au passage de cette terminologie anglo-saxonne alors qu’il s’agit d’une mobilisation bien française ! Nous verrons si cette guérilla continue mais je le dis : la guerre de tranchées serait une impasse pour le corps médical.

On peut penser que la loi de santé sera votée en fin d’année. Il faut renouer les fils du dialogue entre le pouvoir politique et les médecins. La venue au congrès de l’Ordre, d’abord du président Hollande l’an passé, et cette année du Premier ministre Manuel Valls, est un signal. Je rappelle aussi que la loi de santé a déjà évolué, qu’il s’agisse des rapports assouplis entre les ARS et les médecins libéraux, ou de la possibilité de vaccination par les pharmaciens qui a été écartée. Je ne me résous pas à un divorce entre les médecins et le pouvoir.

Mais ce dialogue peut-il être renoué par Marisol Touraine, que l’on dit sur le départ à la faveur du prochain remaniement ?

Elle est toujours en place, elle a la responsabilité du dialogue avec les médecins. Une démocratie sanitaire sans les médecins ne vaudrait rien. De ce point de vue, le boycott annoncé de la grande conférence de la santé n’est pas une bonne chose. Mieux vaut le dialogue, même robuste, plutôt que le boycott qui ne mène à rien !

Propos recueillis par Cyrille Dupuis

Source : Le Quotidien du Médecin: 9448