Depuis qu'il a été élu Premier ministre, Ariel Sharon n'a pas eu une seule fois le réflexe de donner un prolongement politique aux succès qu'il a pu remporter. Car, en dépit du tableau sinistre des combats qui continuent d'opposer Israéliens et Palestiniens, avec une augmentation croissante du nombre des victimes dans les deux camps, il en a remporté.
Il a en effet conduit une répression sévère contre les Palestiniens avec le soutien tacite, mais ferme, des Américains qui, pratiquement, ne reconnaissent plus Yasser Arafat comme partie prenante au dialogue ; M. Sharon est parvenu à isoler M. Arafat à Ramallah sans que les Européens ou les pays arabes n'interviennent autrement que par des semonces verbales ; il livre des batailles féroces, certes justifiées par des attentats encore plus cruels et maintenant par des attaques de Palestiniens munis d'armes plus sophistiquées, sans que l'ONU ne soit intervenue ; l'Arabie saoudite, qui a compris que George W. Bush refuse de relancer le dialogue, de négocier avec M. Arafat ou d'exercer des pressions sur M. Sharon, propose, pour la première fois, la reconnaissance d'Israël par tous les pays arabes, en échange d'un retrait des territoires et du Golan ; enfin l'Europe, toujours très critique à l'égard du gouvernement israélien, s'est montrée incapable de peser sur l'évolution du conflit.
Un nouveau Liban
Mais si M. Sharon ne craint aucun danger extérieur et conduit donc sa guerre en toute liberté, il a encore moins réussi que ses prédécesseurs à apporter la sécurité aux Israéliens ; si durs que soient les coups de boutoir qu'il porte aux Palestiniens, les Israéliens les paient par de nouveaux tués, civils et militaires ; dans l'armée elle-même, des centaines d'officiers et de soldats refusent de servir dans les territoires ; la presse israélienne compare le conflit à celui du Liban-Sud qu'Ehud Barak a fait évacuer en toute hâte il y a moins de deux ans ; d'anciens généraux et des officiers réservistes proposent un retrait de Tsahal d'une majeure partie des territoires et d'occuper des positions plus faciles à gérer.
Quand on compare les déclarations faites par l'Autorité palestinienne (nous continuerons à nous battre) ou par le gouvernement israélien (nous aussi, mais sans déclencher une guerre), on mesure la distance qui sépare les mots de l'affreuse réalité vécue chaque jour par les deux peuples. Le moteur du cycle crime-vengeance, ce sont des êtres humains : des Palestiniens qui, lorsqu'ils ne sont pas tués ou blessés, voient leurs maisons rasées par les bulldozers israéliens ; des soldats de moins de vingt ans tués sur les barrages de Rafah ou de Cisjordanie, des civils déchiquetés par les bombes des kamikazes. Arafat et Sharon ont pourtant l'air de croire que ce processus de destruction, qui a remplacé le processus politique, peut durer encore un jour, un mois, un an. Ce n'est pas de la folie à proprement parler, c'est une logique de la terre brûlée qui oblitère le raisonnement des dirigeants.
M. Sharon voudrait se débarrasser de M. Arafat, dont la popularité a en fait augmenté ; M. Arafat se passerait bien de M. Sharon, lequel, en dépit des promesses qu'il a été incapable de tenir, n'est pas encore désavoué par une majorité d'Israéliens. Les travaillistes, et parmi eux Shimon Peres, participent toujours au gouvernement conduit par la droite, alors qu'ils auraient dû le quitter il y a plusieurs mois.
La seule question qui vaille
La question cruciale, pour Israël, n'est pas d'avoir ou non l'assentiment de M. Bush ; elle n'est pas d'« expulser » Arafat, comme l'exige une partie de la droite israélienne, car le successeur d'Arafat ne serait pas un agneau ; elle n'est pas de porter plus de coups qu'il n'en reçoit.
Elle est de mesurer le danger mortel auquel la répression d'Israël expose Israël lui-même dans les territoires ; elle consiste à se demander si les territoires ne sont pas déjà le cimetière à la fois des principes qui ont fondé l'Etat juif et de la jeunesse israélienne, qui vit cette bataille interminable comme un cauchemar ; elle est de savoir si la politique n'est pas infailliblement le prolongement de la guerre.
M. Sharon a fait valoir à plusieurs reprises que, depuis 1993, une solution diplomatique a été activement recherchée et que M. Arafat a rejeté ce qu'on lui proposait. Mais il n'a pas besoin de négocier avec qui que ce soit pour exposer un programme politique. Il doit dire quelques évidences, par exemple qu'on ne peut pas sacrifier un soldat pour chaque civil israélien qui veut vivre en Cisjordanie ou à Gaza ; qu'on peut gagner une guerre contre une armée, pas contre un peuple ; que si l'ennemi se conduit de façon intolérable, il est impossible d'imaginer qu'il va disparaître comme par enchantement ; que si les Palestiniens doivent enfin comprendre (comme l'Arabie saoudite, apparemment) qu'ils ne se débarrasseront pas d'Israël, Israël ne peut pas non plus se débarrasser d'eux.
Un minimum de réalisme nous conduit à penser que Sharon ne prononcera jamais un tel discours. Cela signifie que la situation doit mûrir encore, que d'autres forces politiques doivent apparaître en Israël. Ce qui est incroyable, après tant de guerres et tant de morts, c'est que la crise ne soit pas encore mûre pour une tentative de paix.
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