DEVENUE réalité sur le plan strictement chirurgical en 1911 grâce à Alexis Carrel, la greffe d'organe a connu jusque dans les années 1950 une longue période d'empirisme sur le plan technique et d'inconnues sur le plan immunologique.
L'aventure a réellement commencé, raconte le Pr Iradj Gandj- bakhch, il y a une quarantaine d'années, grâce à la rencontre de trois pionniers, Norman Shumway, Christiaan Barnard et Christian Cabrol, qui travaillaient aux Etats-Unis, à l'université du Minnesota (Minneapolis), chez Clarence Walton Lillehei, «le père de la chirurgie à coeur ouvert», comme l'avait surnommé D.A. Cooley. Environ un millier de chirurgiens résidents ont fait leurs premières armes dans le service de ce visionnaire, décédé en 1999.
Les pionniers osent.
Il revient à Shumway d'avoir mis en place les fondements techniques de la greffe grâce à de nombreux travaux expérimentaux. C'est C. Barnard qui, après avoir observé les travaux de Shumway, a osé le premier briser le tabou de la greffe d'un coeur battant, en effectuant une intervention qualifiée d'historique le 3 décembre 1967 à l'hôpital Groote Schuur du Cap (Afrique du Sud).
En France, le Pr Christian Cabrol, quant à lui, a pu réaliser la première greffe cardiaque en Europe chez M. Clovis Roblain grâce à ce qu'il nomme modestement des «circonstances favorables». Alors responsable du service des urgences de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière au début des années 1960, il sera en 1972 le fondateur du service de chirurgie cardiaque de l'hôpital de la Pitié, qu'il dirigera jusqu'en 1990.
Et c'est précisément dans ce service, comme dans celui de N. Shumway à Minneapolis et quelques autres, que seront poursuivies les greffes. «Les équipes qui y ont cru» ont obtenu des résultats sur la survie de l'ordre de 20 à 40 % à un an. M. Emmanuel Vitria, né en 1920 et qui a été opéré en novembre 1968, à Marseille, par l'équipe du Pr Edmond Henry, dans le service du Pr Jouve, est un exemple bien connu de survie très prolongée. Ce patient décédé, en effet, en mai 1987, détiendra ainsi le record après transplantation cardiaque, avec une survie de 6 738 jours. Il a donc vécu dix-neuf ans avec le coeur d'un autre homme, Pierre Ponson, un fusilier marin décédé accidentellement, et a survécu quinze ans à son chirurgien.
La maturité de la greffe cardiaque a été rendue possible par les progrès des connaissances en immunologie, l'émergence des traitements immunosuppresseurs et la mise à la disposition du corps médical de la ciclosporine en 1981, ainsi que par la qualité du suivi histopathologique des greffons. Aujourd'hui, les protocoles d'immunosuppression ont encore été améliorés avec la mise sur le marché de nouveaux immunosuppresseurs comme le mycophénolate mofétil, un inhibiteur de l'inosine monophosphate déhydrogénase, l'évérolimus et le sirolimus, des inhibiteurs de la protéine mTOR (mammalian Target Of Rapamycin, ou cible de la rapamycine chez les mammifères).
Survie exceptionnelle.
Ainsi, actuellement, environ 360 greffes sont réalisées chaque année en France, dont 120 en Ile-de-France et 70 à l'hôpital de la Pitié.
La survie atteint actuellement 50 % à dix ans, chez des malades présélectionnés avec soin. Cette survie exceptionnelle est obtenue chez des patients ayant une cardiopathie irréversible, dont la durée de vie est menacée à court terme et dont la qualité de vie est devenue inacceptable. Pour mieux visualiser cette survie, elle doit être rapprochée de celle, très souvent beaucoup plus brève, qui est obtenue au cours de pathologies à la gravité comparable, dans des spécialités différentes comme la cancérologie.
Dans l'avenir, la xénotransplantation, ou transplantation d'organe provenant d'une espèce différente, qui n'est en rien un concept nouveau, fait l'objet d'un regain d'intérêt. Cependant, il s'agit d'une solution encore au stade expérimental et qui soulève de nombreuses difficultés techniques. Une nouvelle voie thérapeutique de l'insuffisance cardiaque chronique pourrait être ouverte par la transplantation de cellules souches. Enfin, l'assistance circulatoire de longue durée a été tentée. Sans remplacer la transplantation cardiaque, les deux courbes de survie étant totalement différentes, elle offre une possibilité à des patients qui étaient jusque-là condamnés.
D'après un entretien avec le Pr Iradj Gandjbakhch (service de chirurgie cardio-vasculaire, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris).
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