De notre correspondante
à New York
L E paludisme, dû à l'infection par les parasites Plasmodium falciparum, P. vivax, P. malariae ou P. ovale, est la principale cause de décès dans la population humaine. Il est responsable chaque année d'environ deux millions de décès. Au cours de l'évolution humaine, dans les régions où le paludisme sévissait, des mécanismes de défense génétique sont apparus pour résister à l'infection par ce parasite. Ainsi, certaines variations de plusieurs gènes de l'homme semblent conférer un risque réduit d'infection palustre, et notamment certains allèles de déficit en G6PD (glucose-6-phosphate déshydrogénase).
L'avantage conféré par le déficit en G6PD
La G6PD, on le sait, joue un rôle crucial dans le métabolisme du glucose et dans la production de glutathion réduit qui protège l'hémoglobine de l'oxydation. Lorsque l'hémoglobine est insuffisamment protégée contre l'oxydation, elle précipite dans les globules rouges. Ainsi, chez les sujets déficitaires en G6PD, des épisodes d'hémolyse surviennent à la suite d'agressions oxydatives (infections, médicaments ou aliments comme les fèves).
La distribution du déficit en G6PD est fortement corrélée à la distribution de l'endémicité actuelle ou passée du paludisme. D'où l'hypothèse, étayée par des arguments in vitro et cliniques, que les allèles de déficit en G6PD confèrent un risque réduit d'infection par le Plasmodium. L'avantage sélectif conféré par la résistance à l'infection palustre est contrebalancée par un désavantage sélectif associé aux pathologies sanguines provoquées par les allèles de déficit de G6PD.
Le gène de G6PD est situé sur le bras long du chromosome X. Le variant B de G6PD, d'activité enzymatique normale, est présent dans le monde entier. Le variant A, d'activité enzymatique quasi normale, et le variant A- d'activité enzymatique réduite (12 % de la normale) sont principalement trouvés chez les Noirs originaires d'Afrique centrale. Le variant Med (ou méditerranéen) d'activité enzymatique réduite (3 % de la normale) est trouvé en Europe du Sud, au Moyen-Orient et en Inde.
Une équipe internationale* a voulu reconstruire l'évolution des mutations de déficit en G6PD. Pour cela, les chercheurs ont identifié trois répétitions microsatellites hautement polymorphes dans une région de 19 kilobases en aval du gène G6PD (appelées AC, AT et CTT). Pour distinguer les différents allèles B, A, A- et Med, ils ont eu recours à l'analyse des RFLP (polymorphismes de taille des fragments de restriction).
Ainsi armés des microsatellites et des RFLP, ils ont examiné la variation des allèles G6PD trouvés chez près de 600 individus venant de régions aussi diverses que l'Afrique, le Moyen-Orient, les pays méditerranéens, l'Europe et la Nouvelle-Guinée.
L'allèle B serait ancestral
Les chercheurs ont ainsi fait plusieurs observations. En général, la diversité des microsatellites (nombre de répétitions AC, AT et CTT) est la plus grande dans les allèles B d'Afrique, puis dans les allèles A, moyenne dans les allèles B en dehors d'Afrique et la plus faible dans les allèles A- et les allèles Med.
Les allèles A- sont toujours associés à un microsatellite AC de 166 paires de bases, un microsatellite AT de grande taille (165-179pb) et un microsatellite CTT de 195 pb. De même, de nombreux allèles Med G6PD sont associés à l'haplotype microsatellite 182 AT/ 151 AT/ 198 CTT.
Ainsi, l'allèle B serait ancestral, et les allèles A seraient apparus plus récemment. L'analyse indique que les allèles A- et Med ont évolué de façon indépendante et ont disséminé à une fréquence beaucoup trop grande pour être expliquée par une dérive génétique aléatoire.
En utilisant un modèle statistique, les chercheurs estiment que l'allèle A- serait apparu il y a environ 6 300 ans ou, en tout cas, dans la période entre les 3 800 et 11 700 dernières années.
L'agriculture, les Grecs et Alexandre le Grand
Cela est en accord, notent les chercheurs, « avec les données archéologiques et historiques qui indiquent que le paludisme n'a eu un impact important sur les hommes que dans les 10 000 dernières années, coïncidant avec l'origine et la dissémination de l'agriculture en Afrique et au Moyen-Orient ». Le paludisme, ajoutent-ils, serait devenu hyperendémique un peu plus tôt en Afrique, en raison de plusieurs facteurs : réchauffement et augmentation de l'humidité (il y a 7 000 à 12 000 ans), augmentation de la densité des populations autour des lacs et des points d'eau.
L'allèle Med serait apparu il y a environ 3 300 ans (1 300 ans av. J.-C.) ou, quelque temps, entre les 1 600 et 6 600 dernières années. Cela cadre avec les documents historiques qui indiquent que le paludisme sévère à P. falciparum ne s'est répandu dans les pays méditerranéens qu'après 500 ans avant J.-C., notent-ils. Ils suggèrent que cette mutation aurait disséminée par les voies de commerce et de colonisation des Grecs dans les premiers millénaires avant J.-C., voire par l'armée d'Alexandre le Grand au cours du IVe siècle avant J.-C.
Sciencexpress.org, 21 juin 2001.
* Sarah Tishkoff (University of Maryland, College Park, Maryland, et coll.). Parmi les signataires de l'article, signalons Gérard Lefranc (faculté des sciences et CNRS, Montpellier) et Salem Abbes (faculté de médecine et institut Pasteur, Tunis).
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