Histoire
Assis, légèrement voûté, il écoute sans rien dire l'épouse ou la mère ou les parents relater avec force détails les modifications de son comportement depuis l'accident. Il répond à vos questions avec un petit sourire contrit. Oui, depuis ce traumatisme crânien, son caractère a changé. Il n'est plus le même. Il n'aime plus voir les gens. A la fois passif, distant et froid, et par moments impulsif, colérique, violent sans raison. Les proches renchérissent. «On n'ose plus sortir. On a peur d'un éclat. On évite soigneusement tout ce qui pourrait lui déplaire, le contrarier, mais il se met souvent dans des colères incroyables, sans raison. On a essayé un séjour dans un établissement d'accueil pour cérébro-lésés, pour l'aider à retrouver du travail et sa place dans la société, sur les conseils de l'Ueros (*). Ce séjour a été interrompu parce qu'il s'est mis à boire des quantités incroyables d'alcool, lui qui ne buvait jamais… Et il a été agressif, il a eu un geste violent, et des grossièretés, avec le personnel… On n'en peut plus. Docteur, faites quelque chose…»
Présentations très diverses
Les troubles du comportement représentent, avec les troubles de mémoire, la séquelle la plus fréquente et la plus socialement invalidante des traumatismes crâniens.
Pour autant, les présentations cliniques et la gravité de ces troubles sont très diverses et largement influencées par la gravité du traumatisme.
Les traumatismes crâniens légers, dans leur définition classique (score à l'échelle de coma de Glasgow [GCS] entre 13 et 15, perte de connaissance absente ou inférieure à une demi-heure, examen clinique normal, absence de crise épileptique, tomodensitométrie cérébrale sans anomalie), n'entraînent pas de comportement inadapté, au sens d'incohérent ou de dangereux. Mais on observe souvent des modifications de l'intensité des émotions, des perturbations des relations sociales et familiales, avec impatience, irritabilité ou impulsivité. Le blessé est conscient de ces changements, il en est malheureux, et demandeur de soin. En dehors d'un contexte de syndrome postcommotionnel ou de syndrome de stress post-traumatique – Ptsd – avéré, la psychothérapie traditionnelle ou le recours au spécialiste n'ont pas de place ici. Mais l'écoute attentive, par le médecin généraliste, en a une.
Il faut expliquer en termes simples pourquoi il n'y a pas de lésion permanente du cerveau et pourquoi ces troubles vont évoluer favorablement. Essayer de réduire l'angoisse du blessé et les tensions familiales. Une chimiothérapie anxiolytique peut aider à passer un cap. La persistance de troubles ne doit pas être un obstacle à la reprise du travail, qui les atténue la plupart du temps.
Dans le traumatisme crânien grave (coma d'emblée, score GCS inférieur à 8), les troubles ont une origine multifactorielle, associant des troubles cognitifs, des déficits du contrôle des émotions et du comportement, et des réactions de l'entourage familial, social et professionnel. Chez le traumatisé crânien, les troubles du comportement sont une pathologie de la relation.
Les déficits cognitifs correspondent au syndrome dysexécutif, ou syndrome frontal post-traumatique, bien que les lésions cérébrales soient plus souvent de type axonal diffus que véritablement frontales. Deux formes principales peuvent être distinguées : dans le premier cas (syndrome frontal dorso-latéral), les blessés sont passifs, ralentis, apragmatiques, souvent persévératifs. Leur participation à la vie sociale reste superficielle, ils ne prennent pas d'initiatives, ne s'impliquent pas. Dans le deuxième cas (syndrome orbito-basal), les blessés ont un comportement plutôt impulsif, brouillon, excessif. Ils peuvent présenter une expansion de l'humeur, se montrent de contact facile, joviaux, mais une contrariété imprévue peut inverser l'humeur, avec des réactions violentes inattendues. Dans les deux cas, il existe des troubles de la conscience de soi qui empêchent le blessé de percevoir ses troubles de façon réaliste. C'est l'entourage qui est à l'origine de la consultation.
Les lésions cérébrales préfrontales et limbiques sont aussi responsables d'une perte ou d'une diminution du contrôle des comportements et des émotions. La désinhibition se manifeste par des crises de boulimie, d'ingestions compulsives d'aliments ou d'alcool, des gestes ou des propos impudiques, un non-respect des règles et des conventions sociales. Les réactions aux émotions sont inadaptées ou disproportionnées. Et la peur, et ses complices habituelles, l'agressivité et la colère, sont les réponses habituelles aux frustrations et aux situations d'incompréhension que rencontre le traumatisé crânien. Dans quelques cas, les réactions atteignent une intensité extrême, crises de rage, hurlements, bris d'objets, violences envers soi-même ou les proches. La situation inverse, c'est-à-dire l'absence d'expression des émotions (athymhormie), avec froideur et indifférence affective, est aussi observée dans les atteintes du cortex préfrontal inférieur (cortex orbitaire), et les deux aspects peuvent coexister chez certains sujets : sur un fond d'indifférence et d'insensibilité aux émotions surviennent des crises de colère ou des gestes déplacés inattendus.
Avant toute décision
Le praticien doit avant toute décision rassembler un minimum d'information sur le traumatisme crânien, s'il s'agit de la première rencontre : durée et profondeur du coma évaluées par le score GCS, type de lésions cérébrales, parcours suivi, contexte familial, retentissement professionnel, conditions d'indemnisation et de réparation médico-légale ; contacter éventuellement les équipes de rééducation qui ont pris en charge le blessé. S'il existe un doute, demander un EEG, car certaines crises partielles complexes peuvent avoir un contenu clastique ou désinhibé. Réactualiser le bilan des troubles neuropsychologiques, car un complément de rééducation cognitive est parfois possible. Ensuite, essayer un traitement psychotrope. Les régulateurs du comportement : carbamazépine et son dérivé récent ont en effet montré une certaine efficacité, complétée par les antidépresseurs sérotoninergiques. Les antipsychotiques de nouvelle génération permettent de faire face à des épisodes d'agressivité importante, ou de violence, un traitement, à doses relativement élevées, mais bref, étant alors certainement préférable à des traitements de longue durée.
Ecoute et soutien pour la famille
La famille aura besoin d'entretiens d'écoute et de soutien par le médecin généraliste, relayés efficacement dans les associations de familles de traumatisés crâniens (1), ou d'entretiens systémiques (abordés ci-après).
Les troubles les plus sévères s'accompagnent de délinquance et d'actes antisociaux ou psychopathiques : vols, agressions, violences sexuelles, conduites addictives majeures, difficultés avec la police, devant lesquels nous restons très démunis sur le plan thérapeutique.
Ainsi, les modifications du comportement des traumatisés crâniens répondent à des causes lésionnelles multiples, qui s'ajoutent ou se multiplient. Mais le cerveau traumatisé n'est pas le seul responsable. Les modifications du comportement traduisent aussi ses difficultés à s'adapter et à répondre aux demandes de l'environnement, et les efforts et les stratégies de compensation mis en jeu pour essayer de répondre quand même à cette demande. C'est dire l'importance du rôle joué par l'environnement, les attitudes, les paroles et les jugements des proches et des soignants. Trop souvent, nous attendons du sujet qu'il s'adapte à nos attentes, nos règles, nos usages, sans nous interroger sur sa perception de la situation, ses attentes à lui, les buts qu'il poursuit. Si on considère le comportement comme l'interaction entre un sujet et son environnement, on ne peut en analyser les modifications sans tenir compte du contexte.
A Bordeaux, nous avons mis en place une consultation spécialisée, handicap et famille (2), où ces problèmes sont abordés au cours d'entretiens systémiques, en s'intéressant précisément aux interactions relationnelles entre les membres de la famille, plutôt que de considérer uniquement les troubles que présente le patient. Cette consultation a été recommandée par la circulaire ministérielle du 4 juillet 2004, relative à la prise en charge des traumatisés crâniens.
Pour en savoir plus
F. Cohadon, J.-P. Castel, E. Richer, J.-M. Mazaux, H. Loiseau. « Les traumatisés crâniens : de l'accident à la réinsertion ». Paris, Arnette, 2002.
P. Azouvi, J.-M. Mazaux, P. Pradat-Dielh (Eds). « Comportement et lésions cérébrales ». Paris, Frison-Roche, 2006.
(1) Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens, Unaftc, www.traumacranien.org, ou unaftc@wanadoo.fr.
(2) Consultation handicap et famille, CHU de Bordeaux, handicap-famille@chu-bordeaux.fr.
(*) Le programme Ueros (unité d'évaluation et de réorientation socioprofessionnelle) a été mis en place par l'Etat en 1997 pour aider à la réinsertion des jeunes patients cérébro- lésés. Il existe pratiquement une antenne dans chaque département que le médecin généraliste peut contacter directement ou par l'intermédiaire de la maison départementale des personnes handicapées. Pour tout renseignement ou pour connaître les coordonnées de l'antenne la plus proche de votre cabinet : ueros.goif@free.fr.
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