De l’huile de foie de morue de nos grand-mères, que certains se souviennent avoir ingurgité en grimaçant, aux compléments alimentaires à base d’oméga 3 disponibles aujourd’hui en pharmacies, les bienfaits des « bonnes huiles de poisson » sont reconnus depuis longtemps. Fabriquée par cuisson des foies à la vapeur, puis écrasement et décantation, l’huile de foie de morue est une excellente source de vitamines A et D. Elle a contribué à la croissance harmonieuse de millions d’enfants, mais on sait aujourd’hui que ce n’est pas la meilleure source d’oméga 3, car il faudrait en prendre de telles quantités qu’elle conduirait à une surcharge dangereuse en vitamine A et D.
Oméga 3 / oméga 6 : une question d’équilibre
Il existe deux types d’acides gras polyinsaturés (AGPI), appelés aussi acides gras « essentiels » car ils ne sont pas synthétisables par l’organisme : les oméga-6, présents dans presque toutes les huiles végétales et la viande (surtout lorsque les animaux sont nourris au grain ou aux farines végétales) ; les oméga-3, contenus dans les algues, le plancton, l’herbe, le lin et la luzerne sous forme d’ALA (acide alpha-linoléique). Une fois digéré par les animaux –les poissons, mais aussi le gibier ou les bovins -, l’ALA se transforme en EPA ou en DHA.
Il y a 30 000 ou 40 000 ans, l’humanité vivait autour des grands lacs de l’Est africain. L’alimentation riche en poissons et en crustacés apportait oméga-3 et oméga-6 dans la proportion de 1/1, ce qui pourrait avoir déclenché le développement prodigieux du cerveau de l’Homo Sapiens. Dans l’alimentation occidentale d’aujourd’hui, ce ratio varie entre 1/10 et 1/20, alors qu’il devrait être au minimum de 1/5. La consommation d’oméga-3 aurait encore baissé de moitié depuis la seconde guerre mondiale, du fait de l’agriculture et de l’élevage intensif et des huiles végétales riches en oméga-6 présentes dans tous les aliments industriels. De plus, les consommateurs ont dédaigné les poissons gras riches en oméga-3 (maquereaux, sardines…) au profit des poissons maigres (merlan, cabillaud…).
La découverte des acides gras
Au début des années 1800, un biologiste français, Michel-André Chevreul, s’intéresse de près aux graisses organiques animales. Il teste sur des chiens un régime contenant protéines, glucides et lipides en quantités suffisantes. Les lipides sont pourvus uniquement par de l’huile d’olive. Ce régime finit par tuer les chiens. Le chercheur en conclut que certaines graisses non disponibles dans l’huile d’olive sont essentielles à la vie et que les chiens ne peuvent pas les synthétiser.
En 1886, deux chimistes allemands réussissent à extraire les acides gras poly-insaturés de la graine de lin, et les appellent acide alpha-linolénique (futur oméga-3) et acide linoléique (futur oméga-6), à partir du mot allemand « Leinöl » qui signifie « huile de lin ». Vers 1900, deux Américains, Burr et Evans, démontrent, à l’occasion d’une expérience sur les rats, que les acides gras polyinsaturés (qu’ils nomment tout d’abord les Vitamines F) sont indispensables au bon fonctionnement de l’organisme. Ce n’est qu’en 1982 qu’une équipe suédoise, récompensée par un Prix Nobel, réussira à expliquer que si ces nutriments sont essentiels à la vie, c’est parce qu’ils servent à fabriquer des médiateurs cellulaires qui régulent des effets comme l’immunité, l’inflammation….
L’aventure cardiovasculaire : des Inuits du Groenland…
Après ces découvertes fondamentales, les chercheurs commencent à s’intéresser à l’effet des oméga 3 chez l’homme. « Les Esquimaux sont forts et rarement victimes de maladie, à l’exception d’une faiblesse oculaire due aux vents, à la glace et à la neige qui abîment les yeux… », écrivait dès 1741 Hans Egede, le premier missionnaire au Groenland. Deux siècles plus tard, entre 1950 et 1974, les chercheurs danois Niels Kromann et Anders Green mènent une étude épidémiologique sur la santé des habitants d’Upernavik au Groenland, dans le sud du pays. L’étude porte sur 1 800 Inuits, dont un groupe resté sur la banquise suit un mode de vie traditionnel, et un groupe a adopté le style de vie de son pays d’adoption, le Danemark. Les premiers ont beaucoup moins d’infarctus et de problèmes cardiaques que ceux qui ont émigré, les chercheurs excluent donc la piste génétique et se penchent sur l’alimentation. Ils expliquent la protection cardiovasculaire des Inuits restés au Groenland par une consommation élevée de poisson (400 g par jour en moyenne) et de viande de mammifères marins.
…aux centenaires d’Okinawa
À l’autre bout du monde, au même moment, deux chercheurs japonais s’intéressent aux habitants de l’archipel d’Okinawa, au sud du Japon, qui détiennent le record d’espérance de vie de la planète. Les maladies cardiovasculaires y sont plus rares que dans le reste du Japon, pourtant l’un des pays les moins touchés… du fait d’une consommation de poisson encore très importante.
Dans les années soixante-dix, l’étude « des sept pays », mettra en évidence la longévité des paysans crétois, grâce à une alimentation riche en oméga 3 : œufs, pourpier, huile de noix, poisson, viande d’oie, de lapin, escargots… Dans les années quatre-vingt-dix, plusieurs essais vont confirmer ces observations, comme l’étude de Lyon, menée par le Dr Michel de Lorgeril. Sur un groupe de 300 personnes ayant déjà fait un infarctus, un régime riche en oméga 3 réduit le taux d’infarctus et la mortalité cardiovasculaire de façon significative.
Les scientifiques s’emploient maintenant à démontrer que le bénéfice des oméga- 3 dépasse la sphère cardiovasculaire. Ils auraient un effet positif dans la réduction des risques de certains cancers, de dépression (voir encadré) ou de maladies neurodégénératives comme Alzheimer.
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