LA « JUNGLE ». C’est le terme employé par Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, pour désigner le cadre administratif et financier dans lequel s’inscrit la gestion des personnels et des médecins hospitaliers. Quelque 860 000 personnes (parmi lesquelles environ 100 000 médecins) dont le rapport que leur consacre l’institution nous apprend que l’Etat ne connaît précisément ni leur nombre, ni leur temps de travail, ni leurs rémunérations... et qu’il se trouve donc dans l’incapacité de les piloter intelligemment.
Le tableau que dressent les magistrats de la Cour des comptes est impressionnant. Soixante-dix corps différents, 12 statuts pour les personnels médicaux, 24 pour les agents (ce qui signifie autant de décrets et de protocoles d’accord quand il faut réformer)..., des procédures de gestion à tire-larigot, confiées à des échelons de décision différents (qui relève statutairement qui du président de la République, qui du ministre de la Santé, qui de son directeur d’hôpital) : une chatte n’y retrouverait pas ses petits.
En matière de rémunération, même complexité – on atteint des sommets avec les régimes indemnitaires, qui se comptent par dizaines (il existe des indemnités forfaitaires de risque, des indemnités de chaussures, des indemnités pour travaux insalubres... et certaines sont attribuées «sans la moindre base légale»). Quant au temps de travail exact de chacun... C’est un mystère, plus épais encore que par le passé avec les 35 heures. Le flou règne en particulier en matière de temps de travail médical (l’activité libérale, les participations aux congrès... ne sont pas connues de l’administration), souligne la Cour des comptes. Toutefois, ainsi que le rapporte une magistrate, les tableaux de service tendent à être de mieux en mieux renseignés... depuis que sont rémunérées des plages de temps additionnel au-delà des obligations légales de service.
Engorgement.
Pour gérer ce méli-mélo, administrations centrale et locale se partagent la tâche. Et cela n’arrange rien. Car la Dhos (Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, au ministère de la Santé), par exemple, qui est chargée du pilotage des praticiens hospitaliers et des personnels administratifs (soit plus de 40 000 personnes au total) est «engorgée» par des charges qui ne devraient plus être de son ressort (il s’agit, précise le rapport, de «signer et notifier chaque année des dizaines de milliers d’actes de nominations, notations, avancements d’échelon, etc.»). Pour certains professionnels, «même les avertissements remontent jusqu’au ministre», s’étonne Philippe Séguin.
La Cour des comptes juge la situation d’autant plus absurde que, souvent – et elle cite le cas de la nomination des praticiens hospitaliers –, l’intervention ministérielle ressemble à celle d’une chambre d’enregistrement. Ballottée entre les écueils d’une administration centrale entravée, de la mauvaise coordination entre les différents intervenants..., le pilotage des différentes catégories de personnels hospitaliers est inopérationnel, «incohérent», accuse la Cour des comptes.
Des « pratiques contestables ».
Il est aussi «lacunaire» au regard de l’absence d’outils basiques permettant de connaître ces personnels, leurs nombres et leurs rémunérations, ajoute Philippe Séguin, qui accuse : «L’administration centrale ne sait pas, par exemple, calculer la part de ses dépenses de personnels due à l’évolution des effectifs et celle liée aux revalorisations salariales. Cela signifie qu’elle ne sait pas calculer l’impact financier de telle revalorisation salariale consentie à telle ou telle catégorie de personnel. Des décisions sont donc prises sans réelle visibilité. On se retrouve avec un enchaînement mal maîtrisé de protocoles vus dans l’urgence.»
Dans le brouillard, les pouvoirs publics ne sauraient avoir une gestion prévisionnelle des effectifs hospitaliers, accuse la Cour des comptes, et donc répondre aux besoins de santé de la population. Aux mains de pilotes aveugles, le système public de soins glisse «vers des pratiques contestables». Les magistrats rangent dans ces « pratiques » l’emploi de médecins contractuels, de médecins diplômés hors de l’Union européenne ne disposant pas de la plénitude d’exercice mais occupant dans leur service des postes de seniors, ou encore de «médecins généralistes pour des postes de spécialistes».
Des solutions qui reviennent souvent plus cher que ce que coûterait une classique création de poste (s’il y avait quelqu’un pour l’occuper, bien sûr). Ces choix «fragilisent la qualité des soins », dénonce l’un des auteurs du rapport, Michel Cretin tout en précisant : «Nous ne sommes pas face à une insuffisance générale des personnels de l’hôpital, mais face à des déséquilibres prononcés dans la répartition des effectifs. Cela vaut entre les hôpitaux (d’un établissement à l’autre, on trouve d’ailleurs des différences de productivité des équipes qui vont du simple au triple – deux services identiques feront le même travail mais l’un aura un personnel trois fois plus nombreux que l’autre –) , entre les régions, mais aussi sectoriellement (entre la ville et l’hôpital) .»
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature