De notre correspondante à New York
La menace d'attaque bioterroriste, qui restait faible bien que prise au sérieux depuis la tragédie du 11 septembre, est devenue une réalité : la lettre envoyée au bureau du sénateur Tom Daschle atteste que, pour la première fois dans l'histoire, une forme sophistiquée de maladie du charbon a été développée et utilisée comme une arme bioterroriste.
Le bacille envoyé a été moulu en particules suffisamment fines pour pouvoir flotter dans l'air et éventuellement provoquer la forme respiratoire létale de la maladie du charbon.
L'alerte sonnée par deux experts dans un article de la revue « Nature Genetics » résonne encore plus fort dans ce contexte.
Claire Fraser, généticienne renommée à l'Institut de recherche génomique aux Etats-Unis (Rockville), et Malcom Dando, historien spécialisé dans les études sur la paix à l'université de Bradford en Angleterre, décrivent comment les différents progrès de la recherche génomique pourraient être employés, de manière funeste, pour le développement de nouvelles armes biologiques, plus puissantes et plus difficiles à détecter.
Détection, protection et traitement
Cependant, ils se demandent aussi comment les nouveaux outils issus de la révolution génomique pourraient être exploités pour améliorer la détection, la protection et le traitement afin que des agents de guerre biologique ne soient jamais utilisés.
« A la lumière de la révolution scientifique et technologique actuelle, il nous incombe à tous de considérer les conséquences de notre travail pour la société. Cet article se veut comme un premier pas dans cette direction, avant la 5e Conférence de révision de la convention des armes biologiques et toxiques en novembre et décembre de cette année », déclarent Fraser et Dando.
Au cours du XXe siècle, une série de programmes d'armes biologiques offensives ont été menés dans différents pays, notent les deux auteurs. Ils distinguent trois générations de programmes : les premiers, relativement peu scientifiques, pendant la Première Guerre mondiale et entre les deux guerres ; les programmes scientifiques pendant et après la Seconde Guerre mondiale ; les programmes conduits vers la fin de la guerre froide, dans lesquels l'URSS a commencé à utiliser les nouvelles techniques de manipulation génétique. « L'histoire suggère que si ce processus n'est pas arrêté, nous verrons une quatrième génération de programmes qui utiliseront de plus en plus la connaissance issue de la révolution génomique ».
Transférer des propriétés pathogènes
Fraser et Dando esquissent, sur la base de plusieurs rapports d'experts, comment les nouvelles avancées de la technologie et de la connaissance des génomes, la meilleure compréhension du mécanisme des maladies infectieuses et du système de défense immunitaire pourraient être exploitées pour développer de nouvelles formes d'armes biologiques. Par exemple, il devrait être possible d'accroître la résistance des agents biologiques aux antibiotiques, de modifier leurs propriétés antigéniques ou de transférer des propriétés pathogènes de l'un à l'autre. « Cette adaptation des agents de guerre biologique pourrait les rendre plus difficiles à détecter, diagnostiquer et traiter. Cela pourrait, en bref, les rendre plus utiles militairement. » Encore plus inquiétante pourrait être la création de virus « furtifs » capables de s'introduire dans les génomes d'une population donnée, puis déclenchés plus tard par un signal.
70 organismes pathogènes
Les efforts génomiques révéleront dans les deux années à venir la séquence complète de plus de 70 organismes pathogènes (bactériens, fongiques et parasitaires) pour l'homme, les animaux et les plantes. « Ce travail fournira une liste des gènes impliqués dans la pathogénicité et la virulence, l'adhésion et la colonisation des cellules hôtes, l'évasion de la réponse immune et la résistance aux antibiotiques, une liste dans laquelle il est possible de choisir les combinaisons les plus létales. »
« Fort heureusement, ajoutent-ils, les avancées de la génomique microbienne, qui pourraient être utilisées pour produire des armes biologiques, pourraient être aussi utilisées pour établir des contre-mesures. » Il serait possible, par exemple, de développer une puce à ADN capable de détecter, d'identifier et de caractériser rapidement tout agent potentiel de guerre biologique. Ce qui permettrait une réponse rapide et efficace.
Une seconde contre-attaque pourrait être assurée par le développement de nouveaux vaccins. Un troisième domaine, dans lequel les avancées de la génomique microbienne donnent de grandes espérances, est le développement de nouveaux agents antimicrobiens.
« Il est du devoir de la communauté biomédicale de jouer son propre rôle en créant un réseau de dissuasion qui fera de la guerre ou du terrorisme biologique un acte futile après avoir été inacceptable moralement », concluent-ils. « Nous devons développer et sponsoriser des programmes de recherche spécifique qui s'attèlent à la menace des armes biologiques. »
« Nature Genetics », 22 octobre 2001, DOI : 10.1038/ng763.
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