De notre envoyée spéciale à Ramatuelle
« Que d'erreurs ! » Par cette exclamation tonitruante, Alain Madelin, président du parti Démocratie libérale, a su toucher la corde sensible chez les 180 participants de la 7e université d'été de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), réunis pendant trois jours à Ramatuelle (Var). Il faut dire que « l'un des rares parlementaires à avoir dénoncé les ordonnances Juppé en 1995 », comme l'a rappelé d'entrée le Dr Claude Maffioli, président de la CSMF, peut se permettre de tailler en pièces la politique de santé menée depuis six ans, qu'il n'a jamais cautionnée.
« Celui qui sollicite l'intervention du médecin n'entend pas que sa décision soit prise dans un carcan de contraintes économiques », a estimé Alain Madelin en prônant une « approche de santé totalement différente », qui doit faire l'objet d'un « choix de société ». Il souhaite « le développement de l'autonomie de notre système d'assurances », « de vraies caisses régionales, autonomes et responsables, avec, le cas échéant, une délégation de gestion contractuelle avec les mutuelles dans le respect de la solidarité ». « A un moment, nous avions le choix entre le système allemand, qui est une extension du système en vigueur en Alsace-Lorraine, et le système britannique, a-t-il expliqué à propos du système de santé français. Nous avons choisi le deuxième : c'était le mauvais choix. »
Sur l'hospitalisation, Alain Madelin se déclare favorable à une « concurrence loyale » entre le secteur public et le secteur privé grâce à la mise en place d'un système commun de financement reposant sur une tarification à la pathologie.
Le RPR pour le C à 200 F
Parmi les invités, le Dr Pierre Morange, secrétaire national à la santé du Rassemblement pour la République (RPR), s'est contenté de reprendre les éléments fournis par la présidente de son parti, Michèle Alliot-Marie, lors de la journée consacrée à la santé qui s'était déroulée la semaine dernière, donnant rendez-vous à tous le 11 décembre, date à laquelle le RPR rendra public son programme dans le cadre d'un « forum santé ». Pour l'heure, le RPR fait son mea culpa concernant les sanctions collectives contre les médecins décidées dans le cadre des ordonnances Juppé en 1996. Et il prône l'amplification du mouvement de régionalisation du système de santé et l'adoption de loi de programmation pour la santé de trois à cinq ans, comme cela se fait, par exemple, pour la politique de défense. « Nous avons une vision globale, pas un plan clés en main, ce qui serait reproduire les erreurs du passé », a précisé Pierre Morange aux médecins qui réclamaient des éclaircissements sur ses déclarations jugées un peu trop générales. Le député-maire de Chambourcy a tout de même laissé entendre qu'il serait favorable à l'augmentation du tarif de la consultation à 200 F au lieu de 115 F.
En l'absence de Philippe Douste-Blazy, retenu à Toulouse en raison de la catastrophe qui a frappé la ville dont il est maire, l'Union pour la démocratie française (UDF) était représentée par le Dr Jean-Luc Préel, secrétaire national à la santé et député de la Vendée. Si l'on en croit les applaudissements, la salle s'est en grande partie reconnue dans son analyse de la situation actuelle et de ses absurdités. Elle a également apprécié le caractère concret de ses propositions. Le député de la Vendée propose la création de conférences régionales de santé, rénovées. Le rôle du Parlement doit être renforcé, selon lui, grâce à un débat annuel d'orientation sur la politique de santé, avec un vote sur un texte amendable et avec, éventuellement, présentation en cours d'année d'une loi de financement rectificative de la protection sociale (tout comme il existe des lois de finances rectificatives pour le budget de l'Etat).
Kouchner : pourquoi pas augmenter la CSG ?
Dans le camp adverse, le Parti socialiste (PS) était très représenté, voulant ainsi montrer l'intérêt qu'il porte aux médecins libéraux avec qui les rapports sont difficiles. Outre Bernard Kouchner, ministre délégué à la Santé, Marisol Touraine et Claude Pigement (Parti socialiste) avaient fait le voyage et tenté chacun à sa manière, de donner des assurances à une salle parfois très hostile. En attendant la plateforme du PS, qui sera présentée par Martine Aubry en janvier ou février, quelques pistes ont été évoquées par le Dr Pigement, qui a proposé un sytème à trois étages : au premier, un accord-cadre, national et pluriannuel entre les caisses d'assurance-maladie et toutes les professions de santé. Au deuxième, des négociations par type d'activité ou de profession, aboutissant à des conventions et permettant de déterminer les modes de régulation des dépenses maladie. Le troisième niveau serait constitué d'accords régionaux portant sur la qualité des soins. « A partir de là, deux approches sont possibles : soit opter pour des conventions individuelles, soit opter pour la signature de conventions entre les syndicats et les URCAM, les ARH ou d'autres structures », a expliqué le Dr Pigement qui a donné sa préférence pour la seconde approche et d'emblée condamné le principe du conventionnement sélectif qui permettrait aux caisses de ne conventionner que certains praticiens.
« A partir de l'accord-cadre, il y aurait des rendez-vous annuels entre les caisses et chaque profession, a-t-il précisé. A ce moment-là, si l'on constate une augmentation des dépenses par rapport aux prévisions constatées, par exemple en raison de la recrudescence d'une pathologie, il y aurait un ajustement du budget. Si au contraire, les hausses ne se justifient pas et qu'elles sont le signe d'un dérapage, l'ajustement se ferait soit en termes de prix, soit en termes de nomenclature, soit en termes de forfait ». Ces idées n'ont pas convaincu le Dr Maffioli. Les participants ont également exprimé leur désaccord sur la proposition d'adjoindre systématiquement au tarif fixe de la consultation un forfait correspondant à tout ce qui relève de « la qualité des soins ».
En clôturant ces trois jours, Bernard Kouchner, en toute logique, a défendu l'action du gouvernement, en utilisant l'actualité pour souligner l'excellence du système d'urgence qui s'est déployé à Toulouse depuis la catastrophe de vendredi. Sur les propositions de la CSMF, qui réclame la disparition de la maîtrise comptable, il a rappelé qu'il avait toujours été contre ce concept. « Je la déteste », a-t-il dit. Mais sur les alternatives au système de santé actuel, il a laissé peu d'espoir : « On peut l'adapter, mais on ne peut pas le changer beaucoup », a-t-il estimé. Admettant le « ridicule » que constitue le fait de dépasser chaque année le budget qu'on s'est fixé, il a fait montre d'impuissance. « Il faut combler ce petit vide, mais comment ? On ne peut augmenter le budget qu'avec l'assentiment des Français. Cela peut être un demi-point de CSG en plus, pas forcément beaucoup plus », a-t-il suggéré . La solution, pour lui, est de « faire de notre système un meilleur usage ». Pour cela, le ministre a fait part de sa confiance dans la médecine libérale.
« La CSMF est là ! »
La CSMF est là et le ministre ne la voit pas : c'est en substance le regret que le président de la Confédération a voulu faire passer auprès de Bernard Kouchner, venu clôturer cette VIIe Université d'été.
Auprès du ministre délégué à la Santé, le Dr Claude Maffioli s'est permis de faire un peu d'ironie, en soulignant la différence importante survenue entre la première et la deuxième prise de fonctions de Bernard Kouchner à la tête du ministère de la Santé : Depuis la parenthèse du Kosovo, il y a eu les élections aux unions régionales des médecins libéraux : nous sommes le premier syndicat majoritaire. La CSMF est là ! », s'est exclamé le Dr Maffioli, en s'étonnant que le gouvernement s'appuie sur « des minorités » pour prendre ses décisions en matière de santé.
Le président de la CSMF a donc tenu un discours pugnace, qui ne pouvait laisser de marbre Bernard Kouchner, même si celui-ci s'est bien gardé de prendre un quelconque engagement. La confédération a rappelé que le gouvernement dispose d'une alternative à la maîtrise comptable grâce aux projets de réforme qui se sont succédé au cours des derniers mois.
La CSMF dit « oui à l'ONDAM », « oui à la régionalisation (mais pas à la Evin !) », « oui à une maîtrise intelligente », a souligné son président.
« 1993 a été la meilleure année au hit-parade des conventions, pourquoi chercher ailleurs ? », a demandé le Dr Maffioli à son ministre. « Vous voulez un concept ? Nous l'avons : la qualité avant le budget », a-t-il ajouté, en soulignant que « les politiques doivent accepter la notion inéluctable d'augmentation des coûts. »
La confédération dénonce la « disparition programmée » des cliniques
De nombreux médecins présents à Ramatuelle ont interpellé les politiques présents sur la situation préoccupante des cliniques,et ils n'ont pas manqué de les interroger sur le montant des enveloppes attribuées pour le personnel des hôpitaux publics, (10 milliards de francs dans le protocole d'accord de 2000, plus de 10 milliards maintenant à l'occasion des 35 heures).
Alain Madelin, président de Démocratie libérale, s'est déclaré « scandalisé » de la façon dont sont traitées les cliniques, tout comme le Dr Jean-Luc Préel, pour l'UDF, et le Dr Pierre Morange, pour le RPR.
Du côté des socialistes, Marisol Touraine, secrétaire nationale du PS à la solidarité, a, quant à elle, tenté de montrer l'invraisemblance d'un complot » contre l'hospitalisation privée, rejointe en cela par le Dr Claude Pigement, délégué national à la santé, et Bernard Kouchner, qui ont assuré leur attachement à l'égalité de traitement entre le secteur public et le secteur privé. La salle, à l'évidence, n'a pas été convaincue. « Nous sommes persuadés qu'on enclenche actuellement le processus de la disparition de l'hospitalisation privée, a déclaré lui-même le Dr Claude Maffioli. L'iniquité de traitement entre les deux secteurs est inacceptable. A terme, c'est la disparition inévitable du secteur privé. »
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