B IEN que le conflit à l'intérieur de la gauche ait pris une tournure étrange et innquiétante pour le gouvernement, la séquence des événements qui ont conduit au report de deux semaines du vote de la loi sur la modernisation sociale en fournit une explication limpide.
Les communistes ont reculé aux élections municipales au profit des petits partis d'extrême gauche. Ils en ont tiré la conclusion logique : les trotskystes rognent leur électorat. Robert Hue n'a donc pas conçu d'autre issue que la surenchère idéologique.
Pour sa part, le gouvernement a commis une erreur : les licenciements chez Danone et Marks & Spencer ont provoqué une telle indignation populaire qu'il a décidé d'inclure dans le projet de loi une miniréforme du droit de licenciement, plus contraignante, bien sûr, pour les entreprises. Il n'a pas gardé la tête froide : un événement microéconomique méritait-il d'être traité à chaud, dans la précipitation, sans trop réfléchir ? C'est un souci purement politique, et même électoraliste, qui a guidé Lionel Jospin. L'effet boomerang ne s'est pas fait attendre.
Ces lois « fourre-tout »
Le PC, en effet, aurait patienté s'il avait réclamé une loi à part sur les licenciements. Entretemps, le projet de modernisation sociale aurait été adopté, les vacances auraient fait leur uvre, et on se serait retrouvé à la rentrée avec une conjoncture sociale différente. Déjà, les lois « fourre-tout » n'ont pas une nature très démocratique : on demande aux élus de se prononcer sur des sujets qui, parfois, n'ont aucun rapport. Dans le cas de figure qui a divisé la gauche plurielle, la réaction intempestive du Premier ministre, au moment où on nous rebat les oreilles avec la « bonne gouvernance », comportait un dimension opportuniste qui a aggravé le conflit intérieur de la majorité.
Ce qui est plus surprenant, c'est que M. Jospin ait « compris » les arguments de M. Hue, qu'on imagine en train d'expliquer à son « ami » qu'il joue sa peau politique dans cette affaire, qu'il n'a sûrement aucune envie de torpiller la majorité (il ne souhaite pas prendre la responsabilité d'un désordre à la faveur duquel la droite reviendrait au pouvoir) mais qu'il doit bien tenir compte de la réalité du terrain et de l'implacable Maxime Gremetz qui se croit littéralement dans l'opposition.
Passons un compromis et topons-la. On gagne du temps, on réfléchit à une solution de rechange et le 13 juin, le projet de loi sur la modernisation sociale sera voté. Peu importe que l'Assemblée fût prête à passer au vote avant-hier. Peu importe que le PC, hier encore roue de secours de la gauche plurielle, en devienne le moteur. Peu importe que ceux des Français qui se sont intéressés à l'affaire, assistent médusés à l'application d'une procédure parlementaire dont les précédents sont rares. L'affaire a suffi pour démontrer que M. Jospin ne peut pas gouverner sans le PC et que les communistes, sans « casser la baraque », ont tout de même remporté, à l'heure de leur plus grande faiblesse, une victoire. Pendant que M. Jospin s'efforce de convaincre les Français (et, parmi eux, les centristes) qu'il n'est pas autre chose qu'un social-démocrate, voilà que le rose socialiste tourne au vermillon.
Le mariage PS-PC fait des deux partis un couple infernal où le mari ne peut s'épanouir qu'aux dépens de la femme, et vice versa. « Comprendre » M. Hue, c'est faire un bout de chemin idéologique dans sa direction, c'est donc prendre des risques, à moins de onze mois de l'élection présidentielle, avec l'électorat modéré sans lequel il n'est pas possible de gagner. Ainsi la majorité vient-elle de donner à l'opposition, qui n'est pourtant pas dans sa forme la plus éblouissante, un cadeau inespéré.
Retour au ghetto
Chaque fois qu'ils ont participé à un gouvernement socialiste, les communistes ont perdu du terrain. M. Hue, qui se considère comme un réformateur, a cru faire mieux que Georges Marchais en donnant au gouvernement des ministres communistes aseptisés, plus techniques qu'idéologiques, et qui ont travaillé avec le souci du bien commun, en produisant d'ailleurs des résultats honorables. Jusqu'aux élections municipales, il était convaincu que, en gommant son héritage totalitaire, il élargirait son électorat. La soudaine percée de l'extrême gauche aux municipales a détruit ses illusions et bouleversé la donne. Une fois encore, le PC voulait fuir le ghetto, le ghetto le rattrape.
Mais Lionel Jospin ne peut pas inclure ce changement dans ses calculs sans modifier du même coup sa stratégie électorale. Ce n'est pas le PS que menacent Arlette Laguiller ou Alain Krivine, c'est une autre des composantes de sa majorité. Il n'aurait pas hésité à s'en défaire si les Verts ou le MDC lui étaient acquis, si les radicaux de gauche disposaient d'un plus grand pourcentage des suffrages, si le PS, qui pensait être durablement le premier parti français, avait une assise populaire plus large. Tous les paramètres rappellent au Premier ministre qu'il faut gouverner au centre alors même que les communistes déportent sa position vers la gauche. Une soudaine fragilité, et même une cassure, apparaît au sein d'un groupe de partis qui a réussi à gouverner pendant quatre ans, non sans succès d'ailleurs. Une fragilité dont la signification profonde est alarmante pour un homme et un parti qui entendent conquérir le pouvoir une deuxième fois l'an prochain.
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