CERTES, on doit minimiser la portée des sondages. Ce sont eux, pourtant, qui façonnent l’opinion. Ce sont eux qui ont lancé Ségolène Royal vers une popularité stratosphérique. Ce sont eux, aujourd’hui, qui montrent qu’elle est en perte de vitesse.
Non seulement la candidate n’a pas eu la majorité depuis au moins trois semaines d’enquêtes d’opinion, mais, comme le soulignent les politologues, le score général de la gauche est en baisse par rapport aux élections précédentes. Or, pour l’emporter au second tour, la candidate socialiste doit à la fois disposer d’une réserve importante dans les voix qui vont à l’extrême gauche et aux Verts et s’assurer que le report de ces voix est large.
Il ne semble pas, selon l’analyse la plus répandue, que la gauche réunisse plus que 40 % du total des opinions exprimées au premier tour ni que le report de ces voix sur la candidate soit suffisant. Il est clair aussi que Nicolas Sarkozy devance sa rivale non pas parce qu’il engrangerait un nombre croissant d’intentions de vote mais parce qu’il bénéficie de la désaffection pour Mme Royal.
François Bayrou et Jean-Marie Le Pen sont au coude à coude : si l’un des deux fait 13 %, l’autre fait 14 et vice versa.
Un handicap qui s’aggrave.
Depuis lundi, le PS a cessé de parler de « trou d’air ». Il est contraint de reconnaître que sa femme-lige est distancée, qu’elle ne recueille pas le potentiel de la gauche, et que, si elle a assurément le temps de changer la donne, le handicap dont elle souffre s’aggrave. D’où la réorganisation annoncée de la campagne de Ségolène Royal, qui sera plus à l’écoute de ses conseillers, unifiera ses interventions publiques et leur apportera un minimum de cohérence.
Les socialistes estiment que la campagne de M. Sarkozy n’est pas mieux organisée. Ils ont dénoncé ses promesses particulièrement coûteuses ; si M. Méhaignerie affirme que les conseillers de M. Sarkozy se contentent d’appliquer à leurs propres calculs les annonces faites par leur candidat, sur un point au moins, et non des moindres, la droite a reculé, et de beaucoup : M. Sarkozy avait décidé de diminuer de quatre points les prélèvements obligatoires ; il a été ensuite précisé que cette réduction se ferait pendant la durée du mandat présidentiel, soit cinq ans, soit un effort infiniment moins spectaculaire (et plus à la portée du candidat) que ce qu’il semblait sous-entendre.
La droite, pourtant, n’avait pas une chance.
Il se peut que les promesses de M. Sarkozy soient plus coûteuses que celles de Mme Royal ; il se peut que son discours soit aussi démagogique ou aussi contradictoire. Il demeure que c’est lui qui progresse et elle qui recule.
Même si, dans les semaines qui viennent, Mme Royal remonte le courant, ce qui se passe en ce moment est beaucoup plus surprenant que ce que l’on dit. A en juger par ses multiples défaites, aux régionales, aux européennes, aux cantonales, au référendum sur le traité constitutionnel européen, la droite n’avait pas une chance. A en juger par le mécontentement populaire, l’accueil violent réservé à chacune des mesures décidées par le gouvernement Raffarin, puis par le gouvernement Villepin, 2007 devait déclencher un raz-de-marée de la gauche. A en juger par les manifestations qu’a provoquées chaque projet réformiste du gouvernement, depuis le CPE jusqu’à la fusion Suez-GDF, à en juger par les émeutes des cités (que d’aucuns n’ont pas hésité à attribuer à la politique répressive et au langage du ministre de l’Intérieur, M. Sarkozy en personne), la droite devait faire ses bagages et partir pour une longue traversée du désert.
En outre, le phénomène Ségolène a été un moment passionnant : une femme à la présidence, c’est apparu comme une éventualité qui emballait une majorité de Français, y compris ceux qui votent à droite. Mme Royal a été littéralement portée par une vague qui a eu raison de toutes les oppositions au sein de son propre parti et elle a balayé des hommes qui attendaient parfois depuis une ou deux décennies de prendre le pouvoir. Sa désignation par le PS (avec 60 % des voix) a été fulgurante. Elle était servie, de surcroît, par la terrible bataille qui a opposé jusqu’au mois dernier M. Sarkozy à M. de Villepin, non sans que le président lui-même fût partie prenante de ce conflit interne et singulier. La candidate socialiste est donc arrivée dans l’arène avec des atouts de première grandeur. Que s’est-il passé ?
LA FRANCE EST UN PAYS DONT LA MAJORITE PERMANENTE EST A DROITE
Des « valeurs » qui n’ont plus cours.
Pour une part, ses fameuses bourdes l’ont quelque peu discréditée. Mais l’opinion pardonne ; elle se moque éperdument de « bravitude » et du Hezbollah. Quand un peuple croit tenir un bon candidat, il ne s’arrête pas à ces détails. Contrairement à ce que l’on dit parfois, ce n’est pas l’incohérence de son discours qui coûte le plus cher à Ségolène Royal, c’est la triste cohérence d’une pensée politique structurée par des « valeurs », comme les socialistes aiment le répéter, qui n’ont plus cours : l’idée que la justice sociale sera assurée par une redistribution plus large du revenu national n’est pas seulement périmée, elle est devenue très dangereuse, car la part des prélèvements obligatoires a atteint – et même franchi – le seuil de l’intolérable ; elle entraîne des fuites de capitaux, elle réduit la capacité du pays à investir dans son industrie, elle provoque des pertes de marchés à l’étranger : il y a une corrélation absolue entre notre croissance encore insuffisante et notre lourd déficit extérieur.
Les électeurs le savent-ils ? Peut-être pas, mais ils se rendent compte que, entre Jospin et Royal, la différence n’est pas grande, même si les slogans ont changé. Or ils ont désavoué M. Jospin en 2002. Le PS n’est donc pas étranger au faible score de Mme Royal. Il lui reproche de ne pas écouter ses sages conseils, mais on ne gagne pas forcément une présidentielle avec de la prudence et en ne s’appuyant que sur les gens de son camp. On gagne si on met de la vision, du souffle, de la conviction dans son discours. Quoi qu’ils en disent, les caciques ont freiné Mme Royal et maintenant qu’elle consent à les écouter, à « réorganiser » sa campagne, on peut craindre qu’elle ne gauchise encore son propos.
En 2002, l’échec de Jospin a été attribué par la gauche à un déficit de gauche dans son programme. Laurent Fabius en a tiré une analyse dont il a fait son propre programme, ce qui l’a conduit à se présenter comme le candidat le plus à gauche du PS.
On sait ce qu’il est advenu et de l’analyse et de M. Fabius. Tout cela est faux : la France est un pays majoritairement de droite. Si le Front national n’existait pas, le rapport droite-gauche serait 60-40. Pour l’emporter, pour battre M. Sarkozy, Mme Royal doit d’abord récupérer les voix qu’elles a perdues au profit de M. Bayrou ; elle doit aussi rassurer la droite plus dure et laisser les candidatures farfelues occuper l’extrême gauche, ce qui achèvera de discréditer certaines thèses obsolètes, comme la multiplication par dix de l’impôt sur la fortune, proposée par M. Besancenot.
Un seul exemple : on ne va pas au devant des enseignants pour leur dire en substance : entre un deuxième porte-avions atomique et l’éducation de nos enfants, je choisis l’éducation. Et voilà comment je peux vous apporter 20 milliards sur un plateau d’argent. Ce n’est pas de cette façon que la politique se fait. On ne troque pas la défense nationale et la sécurité du pays contre des largesses à une profession qui a peut-être moins besoin d’argent que d’encouragements et qui a peut-être besoin de 5 milliards et pas de 20.
Cet épisode a été le moment le plus démagogique et le plus absurde de la campagne, bien qu’il n’ait nullement impressionné les électeurs. Mais si la candidate s’engage de cette manière, si elle est élue et si elle tient sa promesse, alors, oui, sa gestion sera désastreuse.
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