LE SANG DE CORDON congelé de leur nouveau-né semble être devenu pour les célébrités une sorte d’assurance-vie. Brad Pitt, le prince Felipe d’Espagne ou Thierry Henry auraient confié le précieux cordon ombilical à des banques privées dans l’espoir qu’il serve à soigner les possibles défaillances de santé de leur progéniture. Un footballeur britannique a même confié au « Sunday Times » qu’il avait fait congeler les cellules souches de son enfant pour avoir sous la main «une sorte de kit de réparation» en cas de blessure qui menacerait sa propre carrière. Il s’est adressé pour cela à la banque privée CryoGenesis international, l’une des sept entreprises commerciales de ce type existant en Angleterre.
De telles entreprises fleurissent à travers le monde, en Europe mais aussi aux Etats-Unis, en Australie et en Asie. «Ce qui est choquant, c’est que ces banques commerciales vendent la conservation alors qu’il n’y a pas d’utilisation envisageable dans un futur proche. Elles font en quelque sorte de fausses promesses aux consommateurs. On n’est pas loin de l’escroquerie», estime Carine Camby, directrice générale de l’Agence de la biomédecine.
Un avis partagé par Axel Kahn qui, interrogé par Europe 1, n’a pas hésité à parler de «mercantilisme de l’espoir».
Première greffe en 1988.
La greffe de sang placentaire (prélevé sur le cordon ombilical) représente une alternative à la greffe de moelle dans le cas de maladies hématologiques, telles que les leucémies. C’est en 1988, à l’hôpital Saint-Louis (Paris), que le Pr Eliane Gluckmann réalise avec succès la première greffe chez un enfant atteint d’une maladie génétique grave, l’anémie de Fanconi, à partir d’un prélèvement de sang de cordon réalisé chez sa soeur.
Depuis, la méthode et l’indication ont été parfaitement validées. Ce qui est loin d’être le cas des nombreuses promesses thérapeutiques faites par les banques commerciales. Beaucoup sont insensées, comme celle qui vante une future guérison de la maladie d’Alzheimer ou de la maladie de Parkinson : «J’espère que dans cinquante à soixante-dix ans, la médecine aura fait suffisamment de progrès pour que l’on n’ait pas recours à une telle technique pour les bébés qui naissent aujourd’hui. De plus, le procédé me semble tout à fait élitiste», affirme le Pr Gluckmann.
En France, le don de sang de cordon, tout comme le don de sang, est anonyme et gratuit et ne s’est développé que dans le cadre de banques publiques. Celles-ci sont regroupées au sein d’un réseau international de banques publiques mondiales : «Nous avons mis en place des procédures et un système d’accréditation rigoureux afin de s’assurer qu’un cordon prélevé à Bordeaux soit de la même qualité qu’un autre prélevé en Allemagne, en Espagne ou en Italie», souligne le Pr Gluckmann. Les critères sont stricts et parfaitement réglementés. «Nous travaillons avec quelques maternités sélectionnées. Avant de prélever, les parents sont informés et leur consentement éclairé recueilli. Au moment du prélèvement, des tests sont réalisés à la recherche de maladies infectieuses ou génétiques et un typage tissulaire est effectué. Le prélèvement est ensuite mis en quarantaine en attendant le nouveau test réalisé chez la mère au bout de trois à six mois pour être sûr qu’elle n’était pas, au moment de l’accouchement, en incubation d’une maladie infectieuse et que l’enfant va bien», explique au « Quotidien » le Pr Gluckmann. Le système fonctionne parfaitement, mais la concurrence des banques commerciales est forte. «Chaque sang de cordon prélevé et stocké dans les banques publiques coûte environ de 5000 à 6000euros, ce qui demande un investissement important. Les banques commerciales soumises à des critères moins stricts peuvent proposer des prix allant de 1000 à 2000euros, sans compter qu’elles peuvent confortablement rémunérer les sages-femmes et les accoucheurs», poursuit-elle.
Précurseur de la greffe de sang de cordon, elle regrette que l’effort de la France en faveur de cette stratégie thérapeutique ne soit pas plus important. «Nous avons à ce jour 5000unités de sang de cordon. Si nous continuons à ce rythme, nous en aurons 10000 dans cinq ans. Pour être à un niveau équivalent aux autres pays, notre stock devrait s’élever à 50000, niveau qu’ont déjà atteint l’Espagne ou l’Italie.» «A titre d’exemple, rappelle le Pr Gluckmann, le Congrès des Etats-Unis vient de voter 79millions de dollars pour augmenter leur stock à 150000, on est loin du compte.»
La spécialiste met en avant des difficultés financières qui ont obligé deux des quatre établissements, l’hôpital Saint-Louis et l’institut Paoli-Calmette de Marseille, autorisés pourtant à stocker des cellules de sang de cordon, à arrêter leur activité. Seulement deux banques publiques sont encore en activité en France, celles de Bordeaux et de Besançon, qui dépendent de l’Etablissement français du sang avec, assure le Pr Gluckmann, une demande croissante des parents qui sont prêts à faire don du sang de cordon de leur nouveau-né.
Un modèle mixte.
Si elle regrette la concurrence déloyale des banques commerciales, le Pr Gluckmann n’est pas hostile à un modèle mixte qui pourrait répondre à la demande des personnes. «On essaie de développer ce type de modèle en Europe mais avec difficulté. Puisqu’il y a une demande importante et que les gens croient à la science et veulent faire congeler le sang de cordon de leur enfant, pourquoi ne pas leur dire: “Ecoutez, on n’est pas sûr que ce sera utile, mais si vous voulez le faire, on peut le faire pour vous.” Il convient de garantir que la qualité du prélèvement fait par les banques commerciales soit la même que celle des banques publiques, ce qui entraîne pour ces établissements une augmentation de prix. De plus, ils devront s’engager par un contrat clair: fournir le sang de cordon en cas de besoin de greffe allogénique.» Les banques privées pourraient aider à la constitution des banques allogéniques. Des discussions en ce sens se font en Espagne : «Cela a bougé le jour où l’infante a envoyé son cordon aux Etats-Unis, note le Pr Gluckmann. Les pouvoirs publics ont été touchés par cette démarche.»
En France, aucune autorisation n’a été accordée à une banque commerciale, comme le confirme Laurent Moché, directeur de l’inspection et des établissements à l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), service de l’agence qui, avec le département de l’évaluation des produits biologiques, est chargé d’accordé les autorisations nécessaires.
«Aucune banque privée ou commerciale n’est actuellement autorisée en France et aucune demande d’autorisation n’est en cours», indique-t-il. Cependant, «aucun texte n’interdit de principe l’usage commercial ni l’usage autologue pour soi et ses parents. A partir du moment où un opérateur respecte à la fois les principes éthiques fixés par le code de santé publique (gratuité et consentement des donneurs) et les règles techniques de bonnes pratiques, il peut être autorisé, qu’il soit de statut public ou privé et quelle que soit la finalité future d’utilisation des cellules qu’il stocke.» Et ce malgré l’avis négatif du Comité national d’éthique de 2003 et les recommandations du Conseil de l’Europe de 2004.
Élargir les indications.
Le Pr Gluckmann espère pour sa part ouvrir le débat. Elle propose un élargissement des indications, compte tenu du progrès des recherches : au sein de l’association Eurocord, elle souhaiterait mettre en place une banque pour les familles à risque. «Au lieu du tout-venant, nous préconisons de prélever des personnes appartenant à des familles à risque de cancers, de leucémies, de maladies héréditaires, des familles diabétiques ou ayant une maladie auto-immune. Pour les familles dans lesquelles existe une drépanocytose ou une thalassémie, nous le faisons déjà de façon systématique et gratuite, mais avec nos propres moyens. Nous aimerions l’étendre à la France entière», affirme-t-elle.
Son projet concerne des indications validées comme les leucémies et les maladies hématologiques héréditaires, mais aussi, «à titre expérimental, certaines maladies héréditaires du muscle ou des neurones et certaines maladies acquises dégénératives». Une autre de ses cibles, l’artérite, «car on est capable de cultiver des cellules endothéliales de sang de cordon extrêmement facilement».
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