Idées
Analysant l'histoire de ces dernières décennies, Nicolas Baverez (1) montre que « la France de 2003 est à nouveau le dernier des pays développés à n'avoir pas surmonté la crise des années 70 » ; à l'exception de la fin des années 1980 et 1990, la croissance intensive (de l'ordre de 3 %) est terminée, tandis que « le taux de chômage n'est jamais durablement revenu en deçà de 9 % de la population active ». Prise de plein fouet par les chocs pétroliers, son économie a sombré dans une récession dont on ne s'est toujours pas remis aujourd'hui.
Les coupables ? Une économie trop administrée, des entreprises surendettées ayant à tort sacrifié les investissements au profit de la progression des salaires, tout cela entraînant l'explosion de l'inflation et du chômage. Ajoutons à cela, dit l'auteur, « la sanctuarisation du secteur public placé en dehors de toute contrainte de productivité et de compétitivité ». Et puis, pour faire bonne mesure, l'emballement d'une chaîne causale diabolique et sans fin : un nombre de fonctionnaires effarant : 5,1 millions en 2003 contre 4 millions en 1980, une dette publique qui enfle et finit par représenter 62 % du PIB. Même si la libéralisation de l'économie s'accroît, l'étatisation de toute la législation sociale bloque cet essor et contribue à le scléroser, ainsi des trop célèbres 35 heures.
Si les chiffres vous accablent, rassurez-vous, Nicolas Baverez n'en a pas besoin pour montrer comment une crise fait craquer le tissu social, ce que chacun peut constater dans sa rue. Si vous pensez qu'un pays ne se réduit pas à son PIB, vous constaterez que l'auteur a en réserve quelques joyeusetés sur la diplomatie française de ces vingt dernières années. Il dépeint une France nostalgiquement accrochée à son « indépendance nationale » et à l'univers de la guerre froide, hystériquement dressée contre l'hégémonie américaine, au point de s'en remettre à une inclination philo-russe, qui fait bon marché des exactions commises contre les Tchétchènes. Aussi cloue-t-il au pilori un pays qui garde les mots de la force sans en avoir les moyens, mais traite avec grand mépris les petits Etats ayant récemment rejoint l'Union européenne.
Une crise qui s'exaspère signifie-t-elle forcément le déclin ? Rien que sur le terrain économique, on aura beau jeu de rétorquer à Baverez que la France reste le pays au monde le plus visité, qu'elle demeure très attractive pour les investisseurs étrangers et qu'il est un peu scandaleux d'affirmer qu'elle est « en passe de devenir un désert industriel et entrepreneurial » (p. 74). Il ne faut pas oublier l'envol de la « tertiairisation de l'industrie »,, par exemple. Comme le montre Marie-Béatrice Baudet dans un récent article**, « le secteur des services à l'industrie - maintenance, restauration, service après-vente, emballage, logistique, etc - a explosé » en autant d'activités non prises en compte par les statistiques industrielles.
Cela posé, on ne peut nier que le tableau nosographique de Baverez, moins convaincant dans les remèdes prescrits, n'a pas fini d'effrayer les patients que nous sommes.
On semble être davantage dans le pur registre du regret et de la nostalgie avec Jean-Marie Rouart et son « Adieu à la France qui s'en va » (2). En fait, on est surtout dans les tableaux de la mémoire et de l'histoire mêlés.
Un pays imaginaire
Le livre s'ouvre sur la lointaine évocation par l'auteur d'un enterrement dans le froid matinal de l'église des Invalides. Avec un pouvoir très fort de suggestion, il nous fait voir un képi de légionnaire sur un cercueil, celui de Michel Forget mort à Cao Bang, au Tonkin, criblé de balles par le Viet-Minh ; il représentait la France de la bravoure, de l'aventure et du courage.
Une nation que l'auteur exalte à travers les prises de position de Péguy et de Zola lors de l'affaire Dreyfus, et d'ailleurs, dit-il, dans quel autre pays le sort d'un petit capitaine juif aurait-il provoqué autant de tumultes ? Oubliant peut-être qu'il s'agissait au départ d'une affaire de trahison d'Etat. De la France visiblement, Jean-Marie Rouart ne veut retenir que certains êtres et monuments admirables, tel l'abbé Stock recueillant les derniers moments des fusillés au Mont-Valérien. C'est pour lui, la patrie de Jeanne d'Arc et de Degas, mais aussi du juif apatride, le merveilleux Romain Gary. C'est aussi celle où, curieusement, tous les athées sont des chrétiens à mauvaise conscience.
« La France est un pays imaginaire », dit Jean-Marie Rouart qui intitule ainsi un de ses chapitres, et c'est vrai qu'il la rêve à travers ses écrivains et ses peintres, ses cours d'eau et ses estuaires plus qu'il ne l'analyse. Une France provinciale, campagnarde où le boudin grille dans la cheminée, souvent aussi un peu confite de bourgeoisie empesée : sorties de messe, canapés recouverts de chintz et service de Baccarat composent un ensemble un peu mouillé de médisance et d'hypocrisie.
On l'aura compris, cette « France qui s'en va », c'est surtout l'enfance du narrateur qui s'éloigne, plus que la frénétique prosopopée d'un pays. Celui dont Jean-Marie Rouart reconnaît qu'il est, hélas, autant Touvier et Aussaresses que Barrès et Péguy, et auquel il préfère finalement Noirmoutier « qui s'ouvre sur l'infini », et les voix chères qui se sont tues.
(1) Editions Perrin, 135 p., 12,50 euros.
(2) Editions Grasset, 248 p., 18 euros.
* Oswald Spengler : « le Déclin de l'Occident », 1920.
** « Le Monde-Economie », mardi 23 septembre 2003.
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