«L'EUROPE ET LA FRANCE métropolitaine ont été de longue date concernées par les maladies vectorielles. Ainsi la peste et la fièvre jaune existaient en Europe jusqu'à la fin du XVIIIesiècle. Le paludisme était lui aussi endémique sur le continent à cette époque et même bien plus tard. Le dernier cas autochtone français date de 1972 et il est survenu en Corse. Plus récemment, la France métropolitaine a été concernée par la leishmaniose transmise par des phlébotomes à partir de chiens infectés. Des premiers cas d'infections par le virus West Nile ont par ailleurs été recensés dans notre pays en 1960. À la suite d'une épidémie survenue à Bucarest en 1996, d'autres pays européens, dont la France, ont été touchés. Plus récemment, des cas de dengue ou de chikungunya importés ont été recensés en métropole. Si le second virus était encore inconnu en Europe, il faut savoir qu'en Grèce en 1927 plus d'un million de personnes ont été infectées par le virus de la dengue. C'est donc que les vecteurs étaient présents de longue date sur le continent. En France, près de 900 cas de chikungunya importés et 300cas de dengue ont été recensés, mais aucun cas secondaire n'a été détecté à ce jour, contrairement à l'Italie où près de 200personnes ont contracté une infection par le chikungunya localement. Pourtant, Aedes albopictus , le vecteur de ces deux infections, est présent sur les côtes méditerranéennes et en Corse depuis quelques années. Ce moustique des villes vit dans de petites collections d'eau (soucoupes de pots de fleurs, jouets d'enfants en extérieur) et au regard des évacuations des eaux pluviales. Il peut entrer en contact avec une des personnes vivant en métropole qui se rendent chaque années dans les zones d'endémie pour le chikungunya ou la dengue (2,7millions de personnes). Si on ne peut exclure l'existence de cas secondaires dans les régions méditerranéennes au cours des prochains mois d'été, il faut savoir que le plan de lutte contre ces deux pathologies mis en place en 2006 a pris des mesures spécifiques pour les zones d'endémie d'Aedes albopictus : recensement descas (déclaration obligatoire auprès de la DDASS des Alpes-Maritimes, de Haute-Corse et du Var et à la DSS de Corse-du-Sud), contrôle possible de la maladie avec une mise à l'isolement du patient et intervention de démoustication autour des cas, dès la période de suspicion du diagnostic (EID Méditerranée). Si l'ensemble de ces règles sont respectées, le nombre des cas secondaires devrait pouvoir être limité.»
Changements climatiques
Pour autant, peut-on affirmer que la métropole est à l'abri des pathologies vectorielles au cours des prochaines années, et en particulier si des changements climatiques se produisent ? «Restreindre le problème des maladies à vecteurs à ces deux infections serait une grave erreur. Différents facteurs vont influer sur les risques sanitaires futurs. La distribution des espèces peut évoluer et on sait par exemple aujourd'hui qu'Aedes albopictus gagne sans cesse du terrain et qu'il pourrait concerner l'ensemble des rives méditerranéennes de la métropole assez rapidement. Cette évolution territoriale n'a rien à voir avec un éventuel réchauffement climatique puisque le vecteur est présent dans des régions qui connaissent des hivers très froids (Chicago, par exemple), mais plus à une évolution naturelle des populations de moustiques. D'autre part, l'abondance de la population vectorielle, les coadaptations pathogènes vecteurs qui peuvent majorer la compétence à transmettre le virus et l'introduction de nouveaux pathogènes (chikungunya par exemple) pourront influer sur le risque sanitaire. Les changements climatiques pourraient contribuer à modifier les territoires de présence de certains vecteurs, mais il faut aussi prendre en compte les modifications environnementales (utilisation d'insecticides en Camargue par exemple pour la culture du riz) et les comportements humains (gîtes à moustiques dans les jardins, passages dans des zones naturelles inhabituelles où les contacts avec les tiques sont facilités). »
Et demain?
Les maladies vectorielles dues aux tiques pourraient dans les prochaines années concerner un nombre croissant de personnes vivant en métropole. Les populations animales infectées par les tiques augmentent régulièrement et les populations, du fait de nouvelles habitudes, vont plus souvent au contact de milieux naturels où elles peuvent être en contact avec ces vecteurs. Dans l'est de la France, des premiers cas d'encéphalite à tiques ont été diagnostiqués ; ils s'ajoutent aux borrélioses de Lyme et aux babésioses déjà endémiques. Le territoire géographique de la fièvre boutonneuse méditerranéenne pourrait lui aussi s'étendre.
Les maladies dues aux moustiques telles que le virus West Nile (affections fébriles, rares encéphalites), importées épisodiquement en Camargue par les oiseaux migrateurs, pourraient se manifester plus fréquemment qu'aujourd'hui. C'est aussi le cas du virus Tahyna (syndromes fébriles aigus).
Les arbovirus déclenchant des fièvres à phlébotomes (affections aiguës bénignes survenant en été), et déjà présents en Italie, seraient capables de gagner le sud de la France.
Des leishmanioses, affectant l'homme, pourraient se multiplier. La leishmaniose viscérale qui est déjà présente dans les Alpes-Maritimes autour de Marseille et dans les Cévennes pourrait concerner un nombre croissant de patients. Son pronostic lorsqu'elle n'est pas traitée ou lorsqu'elle survient chez des patients infectés par le VIH est particulièrement grave. La leishmaniose cutanée, présente dans la région méditerranéenne, plus bénigne, pourrait aussi s'étendre.
Les maladies à puces ne devraient pas gagner du terrain, ces insectes demeurant plutôt insensibles au climat. Mais les populations de rongeurs infectés évoluent : leur nombre pourrait augmenter et les localisations géographiques varier.
Les maladies à poux se développant plutôt dans le froid ne seraient pas favorisées par le réchauffement climatique.
Le paludisme, une maladie importée
Le cas du paludisme doit être considéré avec attention. En France métropolitaine, en 2006, plus de 5 300 cas importés ont été recensés. Ce chiffre est extrapolé à partir des réseaux sentinelles puisque la maladie ne doit pas être déclarée de façon obligatoire lorsqu'elle a été contractée à l'étranger. Seules les infections autochtones (cas secondaires) doivent être signalées et elles restent tout à fait exceptionnelles (dernier cas par P.vivax en 2006 en Corse). La plupart des paludismes recensés en France sont en rapport avec un retour en Afrique généralement pour des vacances de personnes vivant sur le territoire français et qui suivent peu ou pas de chimioprophylaxie. Les anophèles présents en métropole pourraient en théorie transmettre le paludisme, mais ils sont mal adaptés aux paludismes importés. Actuellement, les conditions ne sont pas réunies en France pour sélectionner le meilleur couple vecteur-parasite et on peut raisonnablement penser que l'extension des zones endémiques qui pourrait survenir en cas de réchauffement climatique ne concernerait pas la France métropolitaine.
Des pistes de recherche
Au sein de l'IRD, à Montpellier, les différentes équipes de recherche antivectorielle vont mettre en commun leur travail au sein d'un Vectopole mis en place en collaboration avec la région Languedoc-Roussillon et le CNRS. Cette plate-forme, qui devrait voir le jour au cours des prochains mois, permettra, dans un même lieu, de disposer d'un insectarium sécurisé et de laboratoires de recherche. Différents axes sont envisagés : lutte contre l'agent pathogène chez l'hôte humain ou animal, travail sur les interactions vecteurs-pathogènes, contrôle et stratégies de lutte (nouveaux insecticides, répulsifs, lutte génétique avec lâcher de mâles stériles). Ce travail concerne surtout les moustiques vecteurs du paludisme (genre Anopheles), des fièvres hémorragiques ou à virus chikungunya (genre Aedes), d'autres arboviroses comme l'encéphalite à virus West Nile (genre Culex) et les punaises hématophages ( Triatominae) qui transmettent la maladie de Chagas en Amérique du Sud.
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