« J'ai peur d'accuser faussement un parent », « J'ai peur de toucher à l'équilibre d'une famille », « Je ne dois pas montrer la profonde haine que je ressens » : la difficulté de repérer une situation à risque et la peur de se tromper sont des craintes très fréquemment évoquées par les professionnels face à l'enfance maltraitée. C'est pour pallier cette difficulté que l'association Je.tu.il...* a réalisé un programme de formation intitulé « Ecoutons ce que nous n'avons pas envie d'entendre ».
Cet outil est destiné à l'ensemble des acteurs de l'éducation et de la protection de l'enfance dans le cadre de formations pluriprofessionnelles. Il a été présenté au cours d'une journée de sensibilisation au ministère de la Santé, sous le haut patronage de Luc Ferry, ministre de la Jeunesse et de l'Education nationale, et de Christian Jacob, ministre délégué à la Famille. Même si la loi du 10 juillet 1989 organise une formation spécifique à l'intention des professionnels, les formations mises en place jusqu'à présent s'attachent davantage à décrire le système de protection français, les obligations législatives, les symptômes à identifier chez les enfants et dans les familles que les effets émotionnels de ces situations sur les intervenants qui y sont confrontés. Le programme « Ecoutons ce que nous n'avons pas envie d'entendre » se présente sous la forme d'un DVD qui peut s'utiliser au cours de sessions de formation, notamment d'enseignants ou d'acteurs de la protection de l'enfance. Il s'appuie sur sept courtes fictions qui évoquent des cas de maltraitance (les scénarios ont été écrits à partir d'histoires vraies). Chaque histoire, jouée par des comédiens professionnels, renvoie à plusieurs thématiques (voir encadré) qui peuvent ainsi être débattues après le visionnage du film. A la suite des fictions, le DVD présente les témoignages des principaux protagonistes de l'histoire : magistrat, enseignant, éducateur, thérapeute et parents. Ces témoignages doivent servir à dépasser l'émotion suscitée par les histoires et permettre de poser une série d'interrogations. « Après le visionnage d'une fiction, on peut, quand on travaille avec un groupe en formation, évoquer d'autres situations vécues par les professionnels ou imaginables », précise Bernard Bétrémieux, réalisateur du DVD et fondateur en 1981 de l'association. Puis le DVD propose aussi les textes de dispositions légales à connaître : celles liées à la protection de l'enfance, à l'aide sociale à l'enfance, au secret professionnel, à l'obligation de signaler et à la saisine de l'autorité judiciaire. L'intérêt du DVD est qu'il permet une navigation très souple entre les différents éléments de la formation.
La demande du terrain
Ce programme de formation bénéficie du soutien des ministères de l'Education nationale et de la Santé : « Pour les ministres, le programme répond à une demande réelle et pressante du terrain », assure Ghislaine Matringe, conseillère technique chargée de la vie scolaire au cabinet du ministre de la Jeunesse et de l'Education nationale. Concluant le colloque, elle précise : « La formation doit apporter des savoirs indispensables car beaucoup d'acteurs de terrain ignorent aujourd'hui les circuits du signalement, mais il est également temps de s'interroger et de poser les problèmes de la formation. » Certes, aucun savoir ne pourra venir combler totalement la souffrance, les doutes et les interrogations des professionnels confrontés à la maltraitance. Mais la formation permet de « conduire une réflexion un peu plus dégagée du trouble et de l'émotion, de réduire un peu la solitude et d'enlever la part de culpabilité de chacun des professionnels ».
* 13, rue de Saussure, 75017 Paris, tél. 01.42.27.02.27, fax 01.42.27.67.77, www.jetuil.asso.fr.
Les sept histoires du DVD
- L'histoire d'Abdoulaye : comment, au nom de la responsabilité éducative et de l'obligation de signalement, une directrice d'école primaire est amenée à faire un signalement aux autorités judiciaires, en urgence, pour une maltraitance physique supposée.
- L'histoire de Leslie : à travers les propos d'une enfant de 3 ans, le personnel d'un centre aéré lit la révélation d'un abus sexuel.
- L'histoire de Sofia : le comportement d'un enfant semble révéler un abus sexuel au regard de son institutrice qui devra se battre pour se faire entendre.
- L'histoire de David : un enfant de 8 ans se plaint de mauvais traitements de la part de son institutrice. Vont alors s'affronter deux blocs : d'un côté, les parents, soutenus par une association de parents d'élèves, et, de l'autre côté, l'institution scolaire.
- L'histoire de Sami : l'enfant présente des signes alarmants de négligence au point que l'équipe du centre de loisirs fait un signalement administratif. Mais les parents de Sami ne répondent pas aux convocations de l'aide sociale et ne prendront conscience des choses qu'au commissariat.
- L'histoire de Souheyla : à 16 ans, une jeune fille est entrée en contact avec une association de femmes pour un placement en urgence parce que ses parents veulent l'envoyer le week-end suivant au Mali pour la marier de force.
- L'histoire de Mélanie : comment concilier la confiance, la confidence et la protection de l'enfant à travers les propos d'une adolescente qui a rapporté à des adultes les maltraitances que lui a confié subir une amie.
Toutes ces histoires ont pour but de nourrir une réflexion sur le repérage, l'évaluation et le signalement de la maltraitance à travers différentes thématiques : le déni, la surdramatisation, le doute, la conviction, l'évaluation de l'urgence, la famille, l'identification à l'enfant et aux parents, l'idéologie, la médiatisation, la norme socioculturelle, l'obligation de signaler, la parole de l'enfant, le placement, le poids de l'histoire personnelle, la protection de l'enfant, la responsabilité individuelle, le secret professionnel et le statut professionnel.
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