Il n'y a pas si longtemps, les médias ont stigmatisé un livre dans lequel l'auteur affirmait que les attentats du 11 septembre 2001 avaient été organisés par les services secrets américains. Le livre s'est très bien vendu et continue à se vendre.
Plus le mensonge historique est gros, plus les gens y croient. Et on voit mal la différence entre le livre sur le 11 septembre et les deux dernières théories en date : Diana a été assassinée et c'est Lyndon Johnson qui a fait tuer Kennedy.
Commençons par la mort de lady Di : elle a donné lieu à l'une des enquêtes les plus minutieuses et les plus longues de la justice française. A cet acharnement dans la recherche des indices et des preuves, il y avait au moins une raison diplomatique : la France voulait démontrer au Royaume-Uni qu'elle faisait tout ce qui était en son pouvoir pour faire éclater la vérité. Au terme de cette extraordinaire instruction, il a été établi que le conducteur de la voiture de Diana roulait trop vite, qu'il avait trop d'alcool dans le sang et que l'accident a été inévitable.
Que font les « révisionnistes » ? Ils s'appuient sur le seul élément d'incertitude, la petite voiture blanche qui a été heurtée par la voiture de Diana avant d'aller s'écraser sur un pylône du pont de l'Alma. La police n'a jamais retrouvé cette voiture qui a été aperçue par des témoins, mais ne s'est pas arrêtée et a disparu dans la nature. Compte tenu des poids respectifs des deux automobiles, il est vraisemblable que le plus petit des deux n'a été qu'effleuré par l'autre, sinon il aurait été déstabilisé et se serait arrêté. Son conducteur n'a pas cru bon de se mêler à un drame dont il ignorait sur le moment qu'il était une affaire d'Etat.
Imagination débordante
De là à imaginer un flash allumé à l'arrière de la petite voiture pour aveugler le chauffeur de Diana, il y a un pas que seule l'imagination débordante des adeptes de la théorie du complot peuvent franchir. Il ne s'agit en aucun cas d'une information, mais d'une présomption déclenchée par leur conviction qu'il s'agit d'un assassinat. Autrement dit, on avance une hypothèse et on la conforte en inventant des faits.
Là-dessus, voilà qu'un ex-majordome de Diana publie une lettre d'elle, dont l'écriture est confirmée par les graphologues, et dans laquelle elle exprime son inquiétude au sujet d'un complot visant à la supprimer pour que le prince Charles, son ex-mari, puisse se remarier. Diana a même pensé qu'on saboterait sa voiture.
Transformé en grand intendant des révélations sur la monarchie britannique, le majordome avait été traîné en justice pour avoir « récupéré » un nombre trop élevé d'objets ayant appartenu à la princesse. Le procès a été arrêté quand la reine Elizabeth, tirant avantage de son droit régalien, a demandé que le personnage fût disculpé et libéré. Inutile de dire que le même homme a été payé très cher par un tabloïd pour révéler l'existence de la lettre. Inutile de rappeler que tous ceux qui ont pu gagner de l'argent, beaucoup d'argent, y compris le frère de Diana, y compris l'un de ses amants (lequel, pour une forte somme, a raconté ses nuits avec la princesse), sont prêts à tout dire, ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas.
Quel mobile ?
Que Diana ait imaginé un accident ne signifie nullement que l'accident était un assassinat résultant d'un complot. Et puis, quand on émet ce genre d'hypothèse, il faut aller au bout de l'histoire dont on laisse percer seulement le début : si Diana a été assassinée, c'est par qui, et pour quelle raison ? Si ce n'est Charles, ce ne peut être que la reine. Si l'une et l'autre voulaient se débarrasser de la princesse, il faut vraiment qu'ils soient passés du statut de personnages les mieux éduqués d'Angleterre à celui de fieffés gredins.
En outre, il faut un mobile. Pourquoi, dès lors qu'il était divorcé, Charles n'aurait-il pas pu se remarier ? Mieux : après avoir « assassiné » son ex-femme, il ne s'est pas, en tout cas pas encore, remarié. Alors ?
L'autre histoire, c'est celle de l'assassinat de Kennedy par Lyndon Johnson. Au sujet de la mort de Kennedy, des milliers de théories ont été avancées ; des centaines de livres ont été publiés ; des milliers de gens persuadés que Kennedy a été victime d'un complot se réunissent chaque année pour échanger leurs idées. On a pensé à toutes les possibilités : un crime de la mafia (d'ailleurs le plus plausible, compte tenu de l'action anti-mafieuse de Bob Kennedy, alors ministre de la Justice) ; un meurtre ordonné par Castro, ou pire, par les ennemis de Castro, ulcérés par l'échec de la Baie des Cochons ; et on a pensé, dès le 22 novembre 1963, à Lyndon Johnson.
Un film peu convaincant
Mais on n'a jamais rien prouvé ; on sait qu'Oswald était au moins l'un des assassins, sans connaître les autres et sans qu'on soit certain qu'il y en eût d'autres ; on a noté des bizarreries balistiques sur le trajet des projectiles, sur les plaies de Kennedy, sur le secret voulu par la famille avant la mise en bière. On a noté les décès accidentels qui sont survenus à des gens qui avaient été témoins du crime ; Oliver Stone a fait un film parfaitement imaginaire qui fait du procureur, en fait un illuminé peu crédible, l'homme qui avait tout compris et qu'on a réduit au silence.
Mais on n'a jamais pu relier ces diverses observations. Beaucoup de gens se sont demandé à qui le crime profitait et ils ont trouvé le vice-président Lyndon Johnson, lequel, effectivement, avait été choisi par Kennedy parce qu'il était son opposé idéologique, le Texan qui lui apporterait les voix du Sud. Mais Johnson pouvait attendre et être élu après Kennedy. On lui a donc trouvé un sombre mobile : une taxe sur le pétrole dont les Texans auraient souffert et qu'il fallait empêcher. Principal témoin dans cette nouvelle accusation : Billy Sol Estes, dont le nom a été mille fois mentionné dans l'affaire et qui, s'il avait été crédible, utile ou intéressant, aurait été entendu en 1963 ou même plus tard quand le Congrès a lancé une énorme enquête qui a donné lieu à un non moins énorme rapport. Tous les élus auraient donc été complices de Johnson ? Il est d'autant plus facile de mettre en cause l'ancien vice-président et président qu'il est mort il y a belle lurette et qu'il ne peut plus se défendre.
C'est un cas classique de forfaiture : on monte une hypothèse, on la prouve par des faits que le principal intéressé ne peut pas contester parce qu'il est mort, et on réécrit l'histoire, tout en vendant par ailleurs quelques tonnes de papier au prix fort.
Johson n'a pas laissé le souvenir d'un grand président ; mortifié par son échec au Vietnam, il s'est retiré en 1968 de la course à la présidence. S'il avait tellement d'ambition qu'il était capable de faire assassiner le président en exercice, on imagine qu'il n'aurait pas quitté la Maison-Blanche pour des raisons morales.
Il existe déjà un problème sérieux : les politiciens ne sont pas des tendres et il arrive même qu'ils soient corrompus. Comme si le monde politique n'était pas assez triste, on veut en faire quelque chose d'absolument sinistre, avec des complots et des crimes comme au temps des Borgia. Qu'importe le civisme du peuple, prêt à croire le pire, pourvu que le mensonge rapporte.
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