L E jugement du tribunal correctionnel de Caen (Calvados), en date du 4 septembre, condamnant Mgr Pierre Pican à trois mois de prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé à la justice un prêtre pédophile, consacre une évolution du secret professionnel dont l'application est soumise de plus en plus aux circonstances.
« Aujourd'hui, il n'y a plus de secret absolu », souligne Marianne Frison-Roche, professeur de droit, qui estime que c'est « plutôt une bonne chose ». « La jurisprudence met en balance les intérêts censés protégés par le secret professionnel. S'ils n'existent plus, la règle se retourne », explique la spécialiste. Dans le cas du prélat, la cour n'a remis en cause ni le secret de la confession, qui n'a pas été évoqué, ni le principe du secret professionnel reconnu aux prêtres comme aux médecins, aux avocats, aux journalistes ou encore aux banquiers. En revanche, il a été jugé que les informations recueillies par Mgr Pierre Pican, sur le comportement de l'abbé Bissey, ne relevaient pas du secret professionnel, car le prêtre ne s'était pas confié spontanément à lui. Les magistrats reprochent, en outre, à l'évêque de ne s'être inquiété que de la santé du père Bissey, sans se préoccuper du sort des enfants, alors même que « la non-dénonciation de faits dont sont victimes les plus fragiles de notre société a été érigée, précisément, en infraction » pour mieux les protéger.
« Contrôler la légitimité de la balance des intérêts »
En effet, un récent article du code pénal (434-1) impose d'informer la justice de tout crime dont il est encore possible de limiter les conséquences ou dont les auteurs sont susceptibles de récidiver, dès lors que les victimes sont des mineurs de 15 ans. « Toutes les professions concernées s'arc-boutent contre l'évolution actuelle », observe Mme Frison-Roche. « Mais, ajoute-t-elle, le secret n'est pas un privilège. C'est une charge exercée par un professionnel au bénéfice d'un tiers dont il est le gardien. » Dans cet esprit, le praticien doit le secret à son malade sur son affection, mais si un enfant qu'il soigne est battu et risque la mort, il est tenu de signaler son cas. En même temps, nuance la juriste, la jurisprudence admet que la dénonciation automatique de tout mauvais traitement peut provoquer des comportements dommageables en dissuadant les parents maltraitants, par exemple, de faire soigner leur enfant. Aussi, « c'est au juge de contrôler la légitimité de la balance des intérêts », insiste Marianne Frison-Roche.
En revanche, elle se demande si l'évolution de la jurisprudence ira jusqu'à la suppression du secret partagé. C'est le cas de professionnels qui se concertent pour faire cesser, sans en informer la justice, une situation de maltraitance, au mieux des intérêts des personnes ayant subi des sévices. « Pourront-ils alors être poursuivis ? », s'interroge la spécialiste.
Dans les affaires de presse, la jurisprudence distingue les révélations où la démocratie est en jeu, qui relèvent du « secret absolu », des informations qui concernent le « secret relatif ». Ainsi, la Cour de cassation reconnaît aux journalistes le droit de faire état d' « informations confidentielles, mais pas de documents dont ils sont issus », contrairement, d'ailleurs, aux précédents jurisprudentiels de la Cour européenne des droits de l'homme.
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