Ce n'est pas le moindre des paradoxes que le gouvernement de la majorité plurielle inscrive dans sa loi de Finances une réforme des « fonds spéciaux » qui se situe dans le sillage de l'affaire des billets d'avion payés en liquide par un président incarnant la droite.
Pendant cinquante ans, ni la droite ni la gauche ne s'étaient indignées de ce mode de financement très particulier des cabinets ministériels et de ceux qui se trouvaient à leur tête. Jacques Chirac est interpellé sur le paiement de ses voyages, et se défausse sur le Premier ministre qui dispose de la majeure partie des fonds dits spéciaux. Colère du chef du gouvernement qui juge scandaleuse la diversion de M. Chirac et se jure d'être celui qui mettra un terme aux pratiques occultes des ministères.
Florence Parly, ministre du Budget, l'affirme : désormais, seuls les services secrets recevront des fonds secrets. Les ministères ne pourront distribuer des enveloppes à leurs employés que si ces sommes sont déclarées et donc fiscalisées. La transparence est de mise.
Il est vrai que la méthode était déplorable. On verra, à l'usage, que la réforme va faire mal à beaucoup de gens et entraîner des complications.
Soit un directeur de cabinet qui recevait chaque mois une enveloppe de 20 000 F. Dès qu'elle sera déclarée, il devra payer environ 4 000 F de cotisations sociales et un impôt qui peut atteindre, en comptant son salaire déclaré, plusieurs dizaines de milliers de francs. Son employeur, l'Etat, devra en outre payer chaque mois environ 10 000 F de charges supplémentaires.
Pour que le directeur continue de recevoir 20 000 F par mois net d'impôts et de cotisations, il faudrait donc que l'Etat lui paie à peu près le double. De sorte que les 395 millions alloués aux fonds spéciaux vont rapidement devenir insuffisants et alors, le gouvernement a le choix : soit il multiplie par deux les 395 millions, soit il divise par deux les fonds effectivement distribués, et perd du même coup des centaines de fonctionnaires qui iront chercher ailleurs des revenus plus convenables.
On peut ajouter à ce calcul facile que, s'il est nécessaire, comme on nous le dit, de cacher le montant des fonds dévolus aux services secrets, on ne voit pas au nom de quoi un agent des services secrets ne paierait pas cotisations sociales et impôts sur la totalité de ses revenus. Ce qui est secret, ce sont moins les fonctionnaires eux-mêmes que certaines opérations auxquelles ils procèdent avec de l'argent liquide.
Ce que décrit cette réforme, c'est le formidable abus de droit commis par l'Etat qui ne s'est pas appliqué à lui-même, pendant un demi-siècle, les règles drastiques appliquées à tous les salariés de France et de Navarre. On ne niera pas que, cette fois, le gouvernement a réagi très vite au scandale. On nous permettra néanmoins de douter que la transparence résoudra le problème. Gageons même qu'elle va le rendre encore plus complexe. Car il y avait une excellente raison pour les fonds secrets : ils coûtaient deux fois moins cher. Dès lors qu'ils ne sont plus secrets, il faudra soit trouver un complément de financement, soit licencier beaucoup de fonctionnaires.
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