INÉGALITÉS croissantes, gaspillage des ressources, spéculation financière, course absurde aux profits et implosion de l'Europe, voici ce qui est en gros au menu. Et on pourrait jouer au petit jeu dans lequel, partant de l'un de ces termes, on débouche logiquement sur les autres. Ici laissez toute espérance, car rien, strictement rien, ne permet de penser qu'une amélioration est possible.
La crise des subprimes (les prêts immobiliers aux ménages modestes) aux États-Unis a allumé une mèche, conduisant les banques et autres institutions financières à couper les crédits. La crise de confiance a gagné tous les grands pays de l'OCDE, révélant l'extrême fragilité du système financier mondial. On pourrait y voir un anecdotique commencement. Les auteurs démontrent qu'il s'agit en fait du point d'arrivée, le résultat de beaucoup d'irresponsabilité, à la fois des puissances financières, qui ne cessent d'émettre des produits financiers spéculatifs, et des politiques, soucieux de regarder ailleurs.
Le tricot se défait lentement. «Plus question de cadrerla misère par la fuite en avant dans le crédit et l'inflation des prix d'actifs», disent les auteurs, l'affaire des subprimes n'est que la manifestation d'un monde «où la globalisation non maîtrisée est l'agent de ces bouleversements».
Le grand croisement.
Et voici le choc révélateur par excellence ! La fin du monopole de l'Occident, le terme d'une suprématie économique sur le monde qu'il détenait depuis le XVIIe siècle. Repartons pour une nouvelle énumération peu joyeuse mais implacablement causale. Les grands pays de l'OCDE voient leur force industrielle battue en brèche : faible croissance des investissements, prix de revient trop élevés, vieillissement de la population, le capital va vers les pays émergents, où les coûts de production sont plus faibles. Ah ! nous y voilà, l'inexorable arrivée sur le devant de la scène de la Chine et de l'Inde. Le fameux «grand croisement» annoncé en 2002 par l'économiste américain Angus Maddison, la naissance en fait d'une deuxième globalisation.
C'est avec beaucoup de soin que les auteurs éclairent la bagarre pour les parts de marché mondial, le recul des États-Unis, de l'Angleterre et de la France, «avec les résultats que l'on imagine sur les balances commerciales des biens à la fin de 2007».
A contrario, les pays émergents font une terrible percée, en particulier dans les secteurs des biens milieu de gamme, et le livre nous verse en pluie une liste de grandes firmes occidentales progressivement contrôlées. Tel le chimiste américain General Chemical Industrial Products, passé sous la coupe de l'Indien Tata Chemicals. Demain, Jaguar et Land Rover passeront dans le four tandoori.
Mais si la globalisation accélère la redistribution des cartes, c'est mal connaître l'économie, qui est chose vivante, que de croire qu'un processus va toujours dans le même sens. La fin des 29es jeux Olympiques en Chine voit le début d'un tassement de la croissance, en dépit du succès de l'organisation de ces jeux. Les auteurs, qui instruisent totalement à charge, peuvent-ils ignorer que tout est réversible et que les exportations chinoises vers les États-Unis et l'Europe stagnent ? Les limites du vainqueur, ce sont ses dépendances à l'égard de ceux qu'il a terrassés. La globalisation, c'est un peu la dialectique du maître et de l'esclave, on ne règne pas longtemps sur ceux que l'on annihile.
«Le monde entre dans la stagflation», «Le plus dur reste à venir», «La fête est finie»: l'ouvrage fourmille de ces formules-chocs dont on ne sait si elles relèvent du constat brut, de la prévision scientifique ou d'une posture de Cassandre un peu systématique. C'est là l'équivoque d'un livre qui, au fil d'analyses très rigoureuses d'une situation où tout semble se déliter, en reste à l'affirmation que le pire va empirer d'une façon exponentielle. La crise des marchés financiers, en particulier, est «la centrifugeuse qui va faire exploser l'Europe», selon les auteurs.
Est-il naïf de penser que la vitalité du capitalisme, certes plus fragile car mondialisé, est extrême, et de rappeler qu'il a su
dans le passé toujours rebondir ? En 2005, les auteurs prédisaient l'autodestruction du système. Ils ont du retard sur un puissant théoricien qui annonçait cette implosion inéluctable il y a maintenant cent cinquante ans. Il se nommait Karl Marx.
« Globalisation - Le Pire est à venir », Patrick Artus, Marie-Paule Viard, La Découverte, 164 pages, 12,50 euros. Patrick Artus est directeur de la recherche à la banque Natixis, professeur à Polytechnique et à l'université Paris-I. Marie-Paule Viard a été rédactrice en chef du magazine « Enjeux-Les Échos ».
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