L'ETUDE Dépiscan, lancée il y a deux ans, s'achève à la fin de ce mois. Aux médecins généralistes, radiologues et pneumologues, investigateurs impliqués initialement dans ce travail, sont venus s'ajouter les médecins du travail. Et les tabacologues devraient être également sollicités. En octobre 2004, sur les 1 000 participants prévus - des fumeurs de plus de 50 ans -, pratiquement 800 avaient déjà été inclus, des hommes pour près de 70 %. Ces personnes fumaient un paquet par jour en moyenne depuis plus de trente ans et 65 % étaient encore fumeurs au moment de l'inclusion.
Au moins un nodule pulmonaire non calcifié, donc suspect, a été détecté chez 49,8 % des personnes qui ont eu un scanner, contre 8,6 % chez ceux qui ont eu une radiographie standard ; 22,3 % des nodules révélés par le scanner mesuraient moins de 5 mm. Selon le protocole de l'étude, ces très petits nodules seront uniquement contrôlés par un deuxième scanner à 1 an, sauf, bien sûr, si les patients devenaient symptomatiques. Les sujets chez qui l'on a détecté au moins un nodule compris entre 5 et 10 mm (17,4 % des sujets inclus dans le bras scanner), un scanner de contrôle devait être pratiqué dans les trois mois suivant le dépistage initial. Lorsque l'examen de contrôle a montré une progression du nodule, ils ont subi des explorations complémentaires d'abord non invasives (Petscan) et, seulement si nécessaire, invasives. Un nodule supérieur à 10 mm (10,2 % des sujets du bras scanner) était l'indication d'un scanner de contrôle à un mois, suivi par un PETscan et des explorations invasives, vu le risque de cancer parmi ces plus gros nodules. Respectivement 6 et 1 cancer(s) bronchopulmonaire(s) (CBP) a (ont) été diagnostiqué(s) dans les bras scanner et radiographie (tous parmi des nodules de plus de 10 mm). Enfin, des cancers incidents ont déjà été identifiés au scanner réalisé douze mois après l'inclusion : 1 dans chaque bras (résultats très préliminaires).
Comme d'autres études déjà publiées, Dépiscan montre que les nombreux faux positifs du scanner génèrent un stress, mais que celui-ci se convertit parfois positivement, puisque l'examen a pu être l'occasion d'arrêter de fumer. Un sevrage au tabagisme prolongé a ainsi été constaté chez 17,4 % des participants à Dépiscan, soit nettement plus que le taux observé dans la population générale tout venant (5 à 7 %). Contrairement à la crainte évoquée par certains, le scanner ne représente donc pas « un permis de fumer » pour les grands fumeurs qui se sentiraient exonérés du risque lorsque le scanner est négatif.
Une question est souvent posée lorsque l'on évalue un nouvel examen de dépistage de cancer. Elle porte sur l'évolution ultérieure des nodules découverts précocement par le scanner : ces nodules se transformeront-ils en CBP (dont on sait la létalité importante) ou resteront-ils des tumeurs indolentes à faible potentiel évolutif comme on en observe dans d'autres cancers (comme celui de la prostate par exemple) ? La réponse est apportée par les données provenant d'autopsies réalisées systématiquement auprès de populations de fumeurs et qui retrouvent des CBP dans une proportion analogue à celle de l'incidence annuelle de cancer, de l'ordre de 0,8 %. Ces données montrent que les formes indolentes de ces cancers sont probablement très minoritaires, confirmant le potentiel agressif et de haute évolutivité du CBP
Prévenir les dérapages.
Le coût de GranDépiscan, qui doit inclure 40 000 fumeurs, est estimé à près de 170 millions d'euros sur dix ans. « Ce qui représente une somme évidemment très importante, mais probablement très inférieure au simple coût de remboursement des "scanners sauvages" qui seront probablement pratiqués dans les années à venir en l'absence de toute évaluation », estime le Pr Flahault. En insistant sur l'importance, pour la France, de mener à bien une étude de dépistage d'un cancer comme GranDépiscan, le chercheur évoquant les importants « risques de dérapage » si le scanner était utilisé dans cette indication sans une évaluation préalable rigoureuse. Une inquiétude réelle, comme en témoigne l'expérience de quelques pays voisins. En Espagne, par exemple, l'université de Navarre (Pampelune) propose sur Internet un dépistage à 1 100 euros à toute personne qui le souhaite. Or, compte tenu du nombre élevé des faux positifs, se pose le problème de la qualité (et des risques) de la prise en charge des sujets dépistés. Aujourd'hui, un seul pays au monde, le Japon, pratique un dépistage de masse du CBP sans étude d'évaluation. « Une décision hâtive, dont on peut espérer qu'elle aura moins de conséquences négatives qu'en France, pour des raisons multiples », notamment le nombre moins important des faux positifs au Japon qu'en Amérique du Nord et en Europe, en raison d'une plus faible prévalence de la silicose et de l'histoplasmose.
Les auteurs de GranDépiscan, étude menée sous la responsabilité de l'Inserm, vont travailler dans le cadre d'une triple collaboration internationale : d'une part, avec des pays européens, notamment la Hollande et le Danemark (projet Neslon, équipe de R Van Klaveren) et l'Italie, où un projet est en cours mais n'a pas encore démarré (équipe de E. Paci) ; d'autre part, les Etats-Unis (études Elcap de C. Henschke et Nlst de D. Aberle), et, enfin, un groupe spécifique américano-européen qui se propose de réaliser une métaanalyse ultérieure (avec J. Field).
*D'après un entretien avec le Pr Antoine Flahault, Inserm U444, hôpital Tenon, université Pierre-et-Marie-Curie, Paris.
L'avenir est dans la protéomique
Même si GranDépiscan conclut que le dépistage précoce du CBP en réduit la mortalité, aucun des protagonistes de l'essai, y compris les radiologues, ne pensent que la décision qui s'ensuivra sera de proposer un scanner à tous les fumeurs. Cet avis peut paraître paradoxal, mais l'essai français n'est pas réalisé pour prôner un dépistage par scanner, mais d'évaluer l'intérêt d'un dépistage précoce du CBP sur sa mortalité. Les investigateurs de GranDépiscan sont d'ailleurs d'accord pour qu'un budget conséquent soit alloué au stockage des sérums des participants dès le début de l'étude. Des travaux fondés sur la protéomique ont, en effet, mis en évidence une surexpression de certaines protéines en cas de nodule ultraprécoce, laissant espérer que le dépistage de certains cancers pourra être réalisé par un simple test sanguin, « dans une dizaine d'années ». D'ici-là, « une compétition très vive va s'engager entre les différents pays réalisant ces vastes essais, car de nombreux brevets et découvertes scientifiques sont à la clé, le dépistage du cancer du poumon étant un enjeu aux multiples facettes ».
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