Il est lointain, le temps de la montée en charge poussive de la carte Vitale. Reléguée au rang de l’Histoire désormais ancienne, la version papier de ce support d’identification de l’assuré a duré. Perduré même. Schéma identique pour la généralisation de la carte du professionnel de santé (CPS). L’une et l’autre ont fini pourtant par acquérir leurs lettres de noblesse, trouver leur voie. Tout en introduisant de nombreux avantages dans la chaîne de prise en charge du patient : dématérialisation des flux, traitement rapide des feuilles de soins, etc. Le premier étage de la fusée télésanté était posé. Poussivement ; mais avec succès. Il fallait poursuivre dans une lancée plus opportuniste. Les réseaux de soins ville-hôpital pouvaient éclore ici et là. À la faveur de la généralisation du Réseau santé social (RSS). Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé inaugure en grande pompe celui d’Armentières, près de Lille. Pendant ce temps, la télémédecine se cherche encore. Lourdement.
De Vitale aux réseaux ville-hôpital
Certes, des projets d’expérimentations sont initiés ici et là. Réunissant hôpitaux et autres acteurs de la chaîne de prise en charge du patient autour d’un maillage rudimentaire, ils permettent de réaliser des staffs à distance, d’échanger des images radiologiques dans certains cas. Et de limiter les déplacements inutiles et coûteux de patients. La France tient là un nouveau filon pour lutter contre les déserts médicaux et suppléer le sous-équipement de certains bassins de vie. Pourtant, malgré le succès de ces pilotes, la montée en charge n’est pas pour demain. Il faudra un quasi-Grenelle de la télésanté pour essayer de changer la donne. Et d’essayer de généraliser enfin la télémédecine pour « rompre l’isolement », selon l’expression désormais consacrée de Ghislaine Alajouanine, fervente promotrice de la santé et présidente de la Fissa. Sous l’impulsion de François Fillon, ancien Premier ministre, un rapport verra le jour avec différentes propositions pour faire décoller enfin la télésanté en France (cf. Encadré n°1). Il n'en sera rien. La télémédecine est retombée dans ses travers, malgré un cadre juridique et économique défini. Comment venir à bout des inerties et profiter pleinement de cette approche innovante de prise en charge des patients prometteuse ?
Marisol Touraine, ministre de la Santé du gouvernement Ayrault a sa potion magique, à l'instar de ses prédécesseurs. Intervenant dans le cadre des Journées du Catel, elle apporte un éclairage sur sa stratégie en la matière. Parmi ses trois grands axes sur le développement de la e-santé, le deuxième est centré « sur le renforcement de la coordination et de la coopération des professionnels dans le cadre du parcours de santé ». Pour expliquer sa stratégie et ses choix, la ministre de la Santé a expliqué comment, avec la télémédecine, la France a la possibilité de « s'affranchir des distances. En rapprochant les professionnels de santé entre eux et ces derniers avec leurs patients, la télémédecine permettra de meilleures prises en charge, partout, sur le territoire. Je veux, dit-elle, que nous passions rapidement d’une phase d’expérimentation à une phase de généralisation ». On a l’impression d’entendre s’exprimer Roselyne Bachelot-Narquin, ancienne ministre de la Santé. À quelque différence près : Marisol Touraine va, toutefois, plus loin. Elle annonce un plan de déploiement national concret. Pour elle, « il s'agit de concentrer nos efforts sur des thèmes prioritaires. Ils concernent dans un premier temps le secteur hospitalier et visent, à titre d’exemple, à assurer une permanence des soins en imagerie ou une meilleure prise en charge de l’accident vasculaire cérébral. Les projets pilotes que nous accompagnons sont mis en œuvre dans 8 régions. Ils doivent pouvoir rapidement s’étendre sur le reste du territoire, dans le cadre des programmes régionaux de télémédecine pilotés par les agences régionales de santé (ARS). Je compte sur la mobilisation des ARS pour que la télémédecine se déploie au service des besoins de santé de chaque territoire ». L’autre point différenciant par rapport à ses prédécesseurs est la déclinaison de la télémédecine dans le secteur ambulatoire. Il s’agit de l’un des engagements de la ministre pris dans le cadre du « Pacte territoire-santé » pour lutter contre les déserts médicaux. Une expérimentation en ce sens sera lancée au cours du second semestre. Enfin, Marisol Touraine plaide pour une montée en puissance de la téléconsultation, la téléassistance et la télésurveillance. Ces projets, selon l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) remonté contre leur enlisement dans l’expérimentation, doivent désormais passer à une phase opérationnelle grâce à la mise en place de PICS comme bases solides (cf. encadré n° 1). Pour autant certains chantiers se matérialisent déjà sur le terrain. C’est le cas de PACS régionaux (cf. encadré n° 2).
Réorienter le DMP au service du parcours de santé
À l’instar de la télémédecine, le dossier médical personnel (DMP) peine également à monter en puissance. Il avait été présenté comme le socle du système de santé français. Pourtant, des années d’expérimentations après, ce chantier d’e-santé patine. La Cour des comptes n’a pas hésité à l’épingler en octobre dernier. « L’absence de stratégie de déploiement » de ce composant est apparue comme le grief principal. La Cour regrette « l’absence de suivi financier précis et l’impossibilité de consolider le montant des fonds publics considérables consacrés au DMP ». Des défaillances qui « ne sont pas seulement gravement préjudiciables à l’appréciation de leur coût réel », écrit cette instance, mais attestent aussi « d’une absence particulièrement anormale de stratégie et d’un grave défaut de continuité de méthode dans la mise en œuvre » de cette solution. Face à cela, Marisol Touraine avait promis un DMP de deuxième génération. Depuis fin mars, on en sait davantage. Car le DMP constitue un des axes forts de sa stratégie de e-santé. « Il doit être réorienté au service du parcours de santé. Les professionnels doivent disposer d’outils de partage de l’information sur les patients, aisément accessibles et sécurisés. Le dossier médical personnel peut répondre à cette nécessité : il doit cependant prendre en compte les besoins des professionnels de santé ». Et la ministre d’émettre un vœu : « Que le dossier médical personnel de deuxième génération soit placé au centre du parcours de soins : il intégrerait de nouveaux services comme le partage d’une synthèse médicale ou l’utilisation en mobilité. Il serait l’instrument privilégié de la prise en charge des pathologies chroniques, avec une indispensable ouverture sur le domaine médico-social. Son déploiement s’accompagnera de la mise en place d’une messagerie sécurisée santé qui permettra aux professionnels de santé de communiquer entre eux ».
Si le DMP fait du sur place, à l’intérieur des établissements hospitaliers il est déjà attendu dans une logique de partage de l’information. Et une coordination efficace. Pour y arriver, les systèmes d’information hospitaliers (SIH) sont déployés ici et là, après une phase d’attentisme désormais derrière les hôpitaux. L’offre des éditeurs semble mature et les utilisateurs bien soutenus dans leur processus de mise en œuvre de ces composants. En cas de besoin, l’Anap leur apporte un appui notamment dans la conduite de projets, sachant que certains établissements sont encore dans l’incapacité de jouer le rôle de maître d’ouvrage. D’autres y arrivent et déploient des outils de dématérialisation d’une grande partie des données liées à la prise en charge du patient. L’exemple des Hospices civils de Lyon (HCL) s’inscrit dans cette approche, avec, en prime, l’informatisation de tout le circuit du médicament. Cette digitalisation pose la problématique de la sécurité des données dans un univers du tout-numérique marqué par la cybercriminalité. Il n’est plus étonnant d’entendre parler de données patients dévoilées sur Internet, alors même qu’elles doivent être conservées sous le sceau du secret médical. Face à ce défi, les établissements hospitaliers s’adjoignent désormais les compétences d’un responsable de sécurité des systèmes d’information (RSSI), fonction longtemps réservée à l’industrie et, depuis peu, aux banques.
Pour autant, cette problématique de l’accès aux données médicales ne relève pas exclusivement des pratiques des cybercriminels. Dans un souci d’optimiser la valorisation du PMSI de leurs établissements, beaucoup d’administrations hospitalières sous-traitent purement et simplement cette tâche à des sociétés de services privées, provoquant ainsi la colère des DIM. Le débat en est encore à ses prémices. La ministre devra certainement trancher, car sur le terrain le torchon brûle entre responsable de l’information médicale et managers, vision économique de l’information et approche médicalisée. En attendant, le digital est plutôt source de grandes avancées pratiques au quotidien. Au CHU de Grenoble, il a permis d’inaugurer de nouvelles fonctions à valeur ajoutée, parmi lesquelles la prise de rendez-vous médicaux via un portail Web et leur confirmation par SMS. Le patient peut d’ailleurs en profiter pour réserver sa place de parking. Une fois hospitalisé, le patient bénéficie d’une station multimédia Triple Play à partir de laquelle il a la possibilité de commander ses menus personnalisés, accéder à des vidéos, etc. Sur certains sites, le médecin a également accès à cet espace multimédia pour visualiser les images du malade et les commenter au pied de son lit, dans un environnement sécurisé.
En clair, le digital est en passe de renouveler la prise en charge du patient et les conditions de travail des praticiens. Une mutation en profondeur qui s’accompagne de succès et de loupés plus ou moins significatifs. Dans un univers de soins confronté à la pression économique, la technologie est considérée comme source de qualité et de maîtrise des coûts. D’où la nécessité de l’apprivoiser dans un univers où le geste humain et son regard restent encore prépondérants.
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