DEPUIS UNE dizaine d'années, l'hypothèse d'un effet délétère, toxique, de la dépression sur le fonctionnement cérébral et, plus précisément sur celui de l'hippocampe, a progressivement émergé. Il a ainsi pu être mis en évidence une corrélation négative entre la durée de la maladie dépressive et le volume de l'hippocampe, grâce à des travaux utilisant pour la plupart des techniques d'imagerie (IRM, IRM fonctionnelle, PET-scan), mais menés sur de petits échantillons de patients.
P. Gorwood et coll. viennent de confirmer ces données grâce, cette fois, à une étude effectuée à plus grande échelle (1), employant un outil de mesure clinique, marqueur de la fonction de l'hippocampe, en l'occurrence un test de mémoire narrative différée (voir encadré).
Près de 10 000 patients inclus.
Au total, 9 515 patients consécutifs, suivis en ambulatoire, le plus souvent en ville, et souffrant d'une dépression caractérisée (hors trouble bipolaire), justifiant la prescription d'un nouvel antidépresseur quel qu'il soit, ont été inclus par 1 844 praticiens ; 8 229 ont été évalués.
Au cours de deux consultations séparées d'au moins quatre semaines, la sévérité de l'épisode dépressif a été mesurée par l'échelle HAD (Hospital Anxiety and Depression Scale) et la mémoire narrative différée évaluée.
Lors du premier examen, les patients testés devaient tous avoir au moins cinq symptômes d'épisode dépressif majeur et un score de dépression à l'échelle HAD supérieur à huit.
Il s'agissait du premier épisode pour près de la moitié des sujets et du deuxième pour le quart des patients. L'épisode actuel durait en moyenne depuis 8,37 semaines avant l'inclusion. En tenant compte des épisodes antérieurs, les patients avaient eu en moyenne 21,33 semaines de dépression au moment de l'entrée dans l'étude.
À ce stade, l'intensité du trouble, évaluée par l'échelle HAD, était corrélée négativement au test de mémoire différée, ainsi que, dans une moindre mesure, à l'âge, au niveau d'éducation et à la profession.
En revanche, aucune contribution de la durée et du nombre des épisodes dépressifs antérieurs n'a été constatée. Les patients ont été revus en moyenne 42 jours plus tard et, comme on pouvait l'espérer, une large proportion (76,39 %) ne remplissaient alors plus les critères d'épisode dépressif majeur. De même, 76,44 % avaient diminué d'au moins 50 % leur score de dépression à l'échelle HAD et une amélioration globale de la mémoire immédiate a été constatée. Mais, contrairement aux observations initiales, une corrélation négative entre le nombre d'épisodes antérieurs et le nombre de réponses correctes au test de mémoire différée a été mise en évidence (n = 8 229 ; r = – 0,063, p < 0,001), qui était plus importante chez les sujets les plus jeunes (tranche d'âge 18-31 ans ; r = – 0,105).
Ces résultats, obtenus pour la première fois sur un large échantillon de patients tout-venant, confortent donc l'hypothèse d'un impact des épisodes dépressifs sur les performances de l'hippocampe : jusqu'à 4 épisodes, chacun diminue d'environ 2 à 3 % les capacités de mémoire différée.
Pour le pr P. Gorwood et coll., ces données plaident «pour un traitement précoce et pendant une durée suffisante des épisodes dépressifs majeurs, sans se satisfaire de rémissions partielles».
(1) D'après P. Gorwood et coll. Toxic effects of depression on brain function : impairment of delayed recall and the cumulative length of depressive disorder in a large sample of depressed outpatients. Am J Psychiatry 2008;165(6):731-9.
Évaluation de la mémoire narrative différée
Après lecture à haute voix d'une courte histoire, il était demandé au sujet de répéter le texte entendu le plus fidèlement possible (c'est-à-dire en retraçant le maximum d'événements précis relatés initialement). Ce compte rendu, témoin des capacités de mémoire immédiate, était alors coté. Après un délai d'au moins 10 minutes pendant lesquelles l'attention du patient était tournée vers une autre tâche, le même exercice était à nouveau demandé de façon à évaluer, cette fois, la mémoire narrative différée.
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